Les cours du pétrole ont encore chuté, vendredi 27 mars, et le Brent se trouve au plus bas depuis 2003. Le marché est miné par une demande au point face à une offre importante. Pour Jean-Marie Chevalier, la pandémie de Covid-19 s’ajoute à un contexte géopolitique déjà compliqué, dans lequel les Etats-Unis vont peser de tout leur poids.
Encore une fois, le prix du pétrole évolue selon une trajectoire que personne n’avait vraiment anticipée. Pour la première fois de l’Histoire, il est durement touché par un phénomène sanitaire que l’on croyait initialement limité à la Chine et qui frappe de plein fouet la demande mondiale de pétrole brut et de produits pétroliers, dont la baisse pourrait être de plusieurs pourcentages de points en 2020. Il est encore bien difficile de dire aujourd’hui (27 mars 2020) quelle seront la durée et l’ampleur de la crise, et encore plus difficile de prévoir ce que sera concrètement et psychologiquement l’état de l’économie mondiale à la sortie de la crise.
Au centre de ce questionnement, se trouve la problématique économique, énergétique et politique des Etats-Unis qui sont devenus depuis 2018 le premier producteur mondial de pétrole brut, devant l’Arabie Saoudite et la Russie. Les Etats-Unis sont en période pré-électorale et sont par ailleurs frappés par le Covid-19. Le gouvernement américain cherche à trouver un équilibre délicat entre un prix bas – pour le bonheur des électeurs, le prix du gallon d’essence est passé sous la barre des 1 dollar le 17 mars – et un prix suffisamment élevé pour maintenir la rentabilité du pétrole de schiste, et des compagnies qui le produisent, dont le cours a déjà chuté à Wall Street. La question majeure est celle de la résilience de cette activité qui a déjà surmonté la baisse des prix de 2015-2016, époque à laquelle Ryad pensait éliminer la menace américaine. Il est difficile de connaître avec précision cette résilience dans la mesure où cette activité ne brille pas par sa transparence.
Au-delà du cas américain, il est nécessaire de décrypter la stratégie des autres grands pays producteurs et exportateurs. Jusqu’au début de l’année 2020, on avait une alliance forte entre l’OPEP, menée par l’Arabie Saoudite, la Russie, alliée elle-même à un certain nombre de pays producteurs. Cette alliance se concrétisait sous le nom « d’OPEP Plus » avec une orientation stratégique majeure de maintien d’un prix minimum de 60 dollars. Cette alliance a explosé à une réunion de « l’OPEP Plus » en mars 2020, à un moment où l’on commençait à s’interroger sur les effets de l’épidémie.
La Russie veut maintenir ses parts de marché face à l’intrusion du brut et du gaz américain. En réponse à ce retrait russe, l’Arabie Saoudite augmente au maximum sa production, ce qui a pour effet de renforcer la tendance à la baisse des prix, au détriment des Etats-Unis, de la Russie, et des autres pays producteurs, dont l’économie dépend des recettes pétrolières.
Le niveau des prix actuels (autour de 25 dollars) est dévastateur pour la plupart des participants : Etats-Unis, Arabie Saoudite (à terme), Russie, la plupart des autres pays producteurs, et aussi pour les compagnies pétrolières qui réduisent massivement les investissements prévus. L’avenir est d’autant plus sombre que la demande mondiale continue à chuter.
Dans un tel contexte, on comprend que les Etat-Unis se rapprochent encore une fois de l’Arabie Saoudite, pour persuader celle-ci de réduire sa production, ce qui pourrait stopper la baisse des prix. Washington dispose de suffisamment de moyens pour que le message soit entendu. Toutefois, il faut bien prendre en compte un choc de la demande qui est loin d’être achevé. La crainte du Peak oil a été remplacé par la menace d’un Peak demand car la conjoncture sera en partie prolongée par des politiques de transition énergétiques qui se feront au détriment des énergies fossiles.