Pour Anne Perrot, il faut imposer aux GAFA le respect des contraintes économiques communes.
Les plates-formes numériques ont acquis des tailles mondiales en mettant en œuvre des effets de réseaux, directs ou indirects : plus une plate-forme a d’utilisateurs, plus elle est attractive pour les personnes qui recherchent un service. Ceci tient à plusieurs caractéristiques des activités de plate-forme : la plupart du temps, celles-ci jouent un rôle économique d’intermédiaire, mettant en relation acheteurs et vendeurs ou, plus généralement, personnes désireuses d’interagir ; il est ainsi désirable d’avoir accès à un plus grand nombre de transactions ou d’échanges possible.
Ces caractéristiques sont partagées par les plates-formes marchandes (Uber, Amazon…) ou non marchandes (Twitter, Instagram). Ce sont ces propriétés qui facilitent, pour les grandes plates-formes, le choix du lieu de la localisation de leurs bénéfices : une mise en relation est un service relativement immatériel qui peut être découplé de la prestation de services elle-même et localisé presque n’importe où dans le monde et en Europe.
Concurrence fiscale
La taxation des plates-formes numériques semble tomber sous le sens : toute activité économique utilise les ressources financées par l’impôt, et on ne voit aucun argument de nature économique s’opposant à ce principe général. C’est oublier que sévit en Europe une forme de concurrence ici bien malsaine, la concurrence fiscale : certains pays, comme l’Irlande ou le Luxembourg, ont fait de l’échappement à l’impôt (souvent par le biais de contrats fiscaux passés avec les entreprises – ou « ruling » fiscal) une des clefs de leur business model, cherchant à attirer par le biais de la concurrence fiscale l’activité des géants du numérique.
Ces pays avancent que la présence de ces géants numériques est, pour eux, source de création de richesse. Cette différence d’objectifs, dans un domaine où l’unanimité est la règle en Europe, aboutit, pour l’instant, à bloquer tout projet commun, pourtant à terme la seule issue à cette question : le projet Accis, visant à unifier la base taxable des entreprises en Europe, ne semble plus discuté : l’Allemagne, pourtant initialement en phase avec l’idée d’une taxation des GAFA, fait machine arrière de peur de représailles commerciales coûteuses de la part des États-Unis dans le secteur de l’automobile.
Margrethe Vestager, la première, a lutté avec ses armes, celles de la politique de concurrence, contre les cadeaux fiscaux faits par l’Irlande à Apple et par le Luxembourg à Amazon, en qualifiant d’aides d’État (susceptibles donc de distordre la concurrence) le non-paiement par ces entreprises de leur impôt sur les sociétés. Bruno Le Maire a, quant à lui, décidé qu’à défaut d’une décision européenne la France imposerait seule le chiffre d’affaires des entreprises du numérique au-dessus d’un double seuil de chiffre d’affaires. Il a bien sûr raison.
Imposer le respect aux GAFA
Bien sûr, certains avancent que la taxation du chiffre d’affaires (au lieu de l’impôt sur les sociétés qui taxe habituellement les bénéfices) introduit une distorsion entre les entreprises du monde physique et celles du monde numérique, que, ce faisant, c’est une distorsion entre entreprises américaines et européennes qui apparaît, que des taxations différenciées en Europe donnent de mauvaises incitations.
Il n’en demeure pas moins qu’il faut imposer aux GAFA le respect des contraintes économiques communes, c’est le seul moyen pour elles d’échapper à une régulation économique spécifique que certains appellent de leurs voeux et qui, pour le coup, serait vraiment pénalisante pour leur activité.
Les GAFA doivent respecter le droit fiscal, le droit social, le droit environnemental, au même titre que les entreprises du monde physique. C’est le prix – légitime – à payer pour que leur comportement et, partant, leur capacité d’innovation ne soient pas contraints par des réglementations nationales restrictives : démantèlement, contraintes inefficaces sur la nature de leurs activités, obligations en tout genre…