L’Inflation Reduction Act, signal que Washington prend enfin la question climatique au sérieux est le bienvenu pour l’industrie américaine. Mais les inquiétudes qu’il suscite poussent l’Europe à plus de protectionnisme, au risque de fragiliser le marché unique. Christian de Boissieu met en avant les grands oubliés de ce débat.
La première édition des Rencontres économiques de Washington, à l’initiative du Cercle des économistes et de l’Ambassade de France aux Etats-Unis, a eu lieu fin janvier. L’évolution de la mondialisation et les défis de la coopération internationale ont été au cœur des débats.
Vers une « démondialisation » ? Une bonne part du processus de mondialisation est irréversible comme le sont les nouvelles technologies impliquées. En fait, il s’agit plutôt d’une tendance à la fragmentation qui touche le commerce mondial, mais aussi dans une moindre mesure les flux financiers.
Un aspect positif
C’est dans ce contexte qu’est lancé le débat sur l’IRA (Inflation Reduction Act). Avec ce texte, les Américains ont déjà provoqué des réactions en chaîne de la part de leurs principaux partenaires commerciaux.
Le signal donné par l’IRA comporte au moins un aspect positif : les Américains prennent enfin au sérieux la lutte contre le changement climatique !
Même si l’Europe n’était pas la cible n°1 de cette loi (c’est la Chine), elle n’en est pas moins directement affectée par ses conséquences, à savoir l’attractivité renforcée du territoire américain. Plusieurs annonces significatives ont déjà été faites dans ce sens par des firmes européennes.
Une réponse adapatée
L’Europe, moins naïve que souvent, réagit par une extension des aides d’Etat. La stratégie est claire : riposter aux subventions américaines et aux distorsions de concurrence associées par des subventions européennes et d’autres distorsions. Avec en toile de fond un réel défi : à trop jouer de ces aides, l’Europe ne va-t-elle pas remettre en cause son marché unique ? Plusieurs pays membres sont d’ailleurs fort réticents face à l’extension de telles aides, car ils y voient des avantages pour les grands pays (Allemagne et France tout spécialement). Le clivage entre petits et grands pays reste un facteur actif de désunion. La Chine de son côté réagit à sa façon même si, à court terme, il lui faut d’abord se préoccuper des conséquences sanitaires de sa réouverture.
Le scénario non coopératif qui prévaut est loin d’être achevé. Et Adam Posen, le président du Peterson Institute à Washington, fait preuve d’un zeste d’idéalisme lorsqu’il suggère aux Européens de lancer « une action contre les Etats-Unis devant l’OMC ». Il serait grand temps de repenser le fonctionnement et les pouvoirs de l’OMC, aujourd’hui impuissante face aux initiatives protectionnistes.
Les grands oubliés
On a souvent tendance à aborder la question commerciale en focalisant sur les Etats-Unis, la Chine et l’Europe. Pourtant, les pays émergents ou en développement sont directement exposés aux effets de l’IRA, et aux ripostes des autres pays. Seule la faiblesse persistante de la gouvernance mondiale, en particulier du G20, évite d’aborder cette question qui fâche…La démarche commerciale américaine, distinguant les pays-amis (« friend-shoring ») et les autres, classe l’Afrique et nombre d’autres pays du Sud dans les autres…
Or, les pays du Sud ont déjà encaissé les effets du resserrement monétaire dans les pays avancés : fuites de capitaux, attaques contre les monnaies, hausses induites des taux d’intérêt, etc. Les Rencontres de Washington ont d’ailleurs évoqué un sujet abordé par le Cercle des économistes depuis deux ans : la redistribution d’une part des DTS nouvellement crées, des pays avancés vers les pays du Sud. Pour l’instant, l’Afrique attend, la France pousse, le Sénat américain bloque (il n’est pas le seul…). Un enjeu essentiel qui va bien au-delà des aspects financiers, un résultat encore partiel.