Le mot longtemps tabou de politique industrielle est désormais avancé par les uns et les autres. La raison en est simple : les Français ont été effarés, à la lumière de cette crise, de l’état de délitement de notre industrie et des effets d’une stratégie des vingt dernières années de délocalisation d’une grande partie de nos activités. A plusieurs reprises la question était déjà apparue au cours de ces dernières années, par exemple au moment du CICE.
Et puis avec les gilets jaunes dont l’un des motifs de révolte était la disparation, dans des milliers de communes, de ces petites activités et ateliers qui leur donnent vie. On s’est heureusement éloigné d’un certain nombre de débats stériles tels ceux relatifs à Bull, Airbus ou Arianespace.
Aujourd’hui on parle de relocalisations, souhaitées de manière un peu abstraite par une grande majorité de Français, de souveraineté, de projets européens. C’est sur le premier thème que l’opinion publique va être la plus sensible. Nous disposons aujourd’hui d’informations sur les relocalisations depuis une dizaine d’années tant aux Etats-Unis qu’en Europe. Elles ont en commun d’être souvent portées par des grandes entreprises leaders.
Elles sont animées par un souci de qualité et de proximité, et s’organisent en véritables clusters. Pourquoi sont-elles quatre fois plus nombreuses aux Etats Unis qu’en Europe ? Parce qu’elles sont portées depuis Barack Obama par un discours et une volonté politiques inexistants chez nous, et bien aidées fiscalement. C’est ce qu’il nous faut faire dans de très nombreux domaines en écartant évidemment un retour à la chimie lourde, à la sidérurgie, ou à la production de téléviseurs…
Il faut s’adosser aux aides publiques massives apportées face à cette crise pour exiger des contreparties substantielles de la part des secteurs et des entreprises concernés. Il convient aussi de privilégier les territoires et les lieux où se côtoient industriels, chercheurs et institutions financières. Nous disposons d’un réseau exceptionnel, celui des Pôles de Compétitivité si utiles après la crise de 2008 et auxquels il faut donner un statut renforcé leur permettant notamment de lancer des emprunts avec garantie publique.
Ce réseau est réparti dans toute la France, touche de nombreux secteurs, bénéficie de la confiance et est susceptible en coordination avec les pouvoirs publics de déterminer de manière indépendante les activités à relocaliser et la manière de mieux mobiliser l’abondante épargne de proximité.
Il est des domaines de souveraineté où sont apparus nos cruels manques -en masques et tests- et pour lesquels il faut récréer, s’il le faut sous impulsion publique, des capacités de production. Sans oublier l’Europe, plus nécessaire que jamais à la lumière de cette crise.
Il est urgent de faire évoluer la politique européenne de la concurrence afin de renforcer notre compétitivité. On pense aussi à la création de GAFA européennes, ce qui supposera un soutien financier massif de l’Europe et vraisemblablement des mesures de protection pour leur permettre de se développer. L’intérêt, dans certains cas, d’un « protectionnisme éducateur » avait été signalé par Friedrich List dès le 19ème siècle !
Nous avons supprimé, il y a vingt ans, par grande naïveté le ministère de l’industrie.
Il faut recréer, au sein du ministère de l’économie, une direction de l’industrie s’appuyant sur les directions existantes du Trésor et des entreprises mais ayant autonomie et autorité pour lancer ce que les Français souhaitent en priorité, c’est-à-dire des territoires de conception et de production. Avec, à la clef, de la croissance et des emplois.