Réguler les Gafa ne suffira pas à nous protéger de leur domination technologique. Il nous faut dans ce domaine des géants européens à la hauteur de notre puissance économique. Une façon, aussi, d’infléchir les exagérations d’une société numérique irrespectueuse.
Tout semble converger dans la prise de conscience générale que l’on ne peut laisser l’évolution des grandes entreprises technologiques, notamment les Gafa, se poursuivre sans limite. Il n’est pas question de remettre en cause le rôle positif que représente la mise à disposition de services numériques ; ni de suivre cette idée naïve que toute régulation donnerait un avantage compétitif à leurs concurrents chinois.
Cette prise de conscience se traduit , ô miracle, par des actes. Aux Etats Unis, notamment, le retentissant scandale de Cambridge Analytica s’est soldé par une amende record de 5 milliards de dollars infligée à Facebook. En Europe, c’est actuellement Libra, la future cryptomonnaie qui est sous les radars de l’antitrust. Quant à La fameuse taxe Gafa, elle a fait à Biarritz l’objet d’un débat apaisé et d’un compromis entre la France et les Etats Unis. Débat fondé sur le maintien d’une position française et la perspective d’un projet de fiscalité internationale du numérique de l’OCDE. Réjouissons-nous, la RGPD et la directive sur les droits d’auteur posent des éléments de protection des données individuelles et collectives ainsi que sur leur utilisation par les entreprises numériques.
Tout laisse donc à croire qu’une régulation intelligente de ces entreprises permettrait de redonner aux Etats et aux individus une vraie maîtrise de leur destin. Et pourtant, ce tableau assez optimisme ne reflète qu’une partie très limitée du problème. Deux questions fondamentales désormais s’imposent.
L’Europe peut-elle demeurer sans grande entreprise technologique correspondant à la réalité de sa puissance économique ? Et cela même si se sont développés quelques moteurs de recherche alternatifs comme Qwant ou Ecosia. Le second immense défi est celui de la société du numérique que nous souhaitons pour nous-mêmes et les générations à venir. Voulons-nous celle promise par ces géants du numérique qui progressivement se substituent aux Etats, remettent en cause notre libre arbitre et finalement mettent en péril notre démocratie ?
Pour l’émergence d’une industrie numérique européenne, tout est possible. Que l’on ne vienne pas nous dire que le retard est si grand qu’on ne puisse le combler. La caractéristique première des périodes de développements technologiques rapides est qu’il est toujours possible pour de nouveaux entrants de profiter d’une avancée. Or nous avons en Europe les moyens et la compétence, reste la volonté de s’imposer. Quant à la société numérique, partout dans le monde la réflexion est lancée, cela tout particulièrement en France. En témoignent, « La Nouvelle Résistance »* que nous publions avec Pierre Dokcès et Mickaël Berrebi, les remarquables essais de Bruno Patino, roman de Marc Dugain et tribunes de Sylvain Tesson et bien d’autres. Tous s’interrogent sur la manière d’infléchir le cours de cette société technologique intrusive et irrespectueuse. Là il n’est plus question du simple démantèlement de quelques entreprises qui aura lieu quoi qu’il arrive parce que les Etats ne se laisseront pas déposséder de leur pouvoir, ni de fiscalité ou de simple régulation mais du monde à venir. Ce qui est proposé, c’est de remettre le développement numérique à sa place, désidéologiser son expansion et ses outrances transhumanistes, maintenir des lieux et des temps dédiés aux relations humaines exemptées temporairement d’intermédiaires technologiques. En un mot, créer un humanisme numérique.