Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale viennent de tenir leur traditionnelle réunion de printemps à Washington. Une fois de plus une, le rendez-vous n’a donné corps à aucune grande décision. Crise de gouvernance ou grosse fatigue des institutions ? s’interroge Christian de Boissieu.
Décidément, les questions importantes sont vraiment traitées en dehors des grand-messes du FMI et de la Banque mondiale. La réunion de printemps des grands argentiers à Washington vient de l’illustrer à nouveau. Le communiqué final est, comme d’habitude, très général et consensuel. Difficile de ne pas être d’accord avec de telles conclusions : «…nous continuerons d’atténuer les risques, d’améliorer la résilience et, si nécessaire, d’agir rapidement pour soutenir la croissance dans l’intérêt de tous», ou lorsque sont évoqués les travaux à venir «en faveur d’un système fiscal international moderne et équitable». Derrière les communiqués convenus et préparés à l’avance, il est intéressant d’évoquer les réels points de convergence ou de discorde entre les participants.
Une forte convergence se fait sur le scénario du ralentissement mondial en 2019. La croissance de l’économie mondiale est désormais prévue à 3,3% cette année, 3,6% en 2020, et la révision à la baisse ne concerne que 2019. Difficile de contester cette correction, tant les facteurs négatifs se conjuguent : ralentissement de la Chine, guerre commerciale entre les grandes puissances, plafonnement de la reprise américaine, recul en Allemagne et dans la zone euro, incertitudes croissantes liées au Brexit, resserrement graduel des politiques monétaires et absence de marges de manœuvre des politiques budgétaires et fiscales…
Tous ces éléments de freinage ne vont pas s’évaporer au cours de l’année. Certains – comme le feuilleton du Brexit – pourraient même peser encore plus sur le climat général, la confiance, et donc la croissance. L’hypothèse faite par les experts du FMI d’un rebond en 2020 est sympathique. Mais elle est sujette à discussion. Je ne sous-estime pas le fait que les prévisions influent sur les anticipations des agents économiques, anticipations qui elles-mêmes font la réalité économique via un processus de prophéties auto-réalisatrices. L’épaisseur du brouillard ambiant conduirait quand même à être plus prudent sur 2020.
L’autre point de convergence concerne la dette, et la question de sa soutenabilité (ou non). Il est rassurant de voir que, désormais, l’on s’intéresse à la dette totale (publique et privée) et pas aux seules dettes publiques. Il est inquiétant de constater que le débat débouche sur des réponses alarmistes alors que les taux d’intérêt demeurent anormalement bas. Qu’en sera-t-il alors, lorsque la « normalisation » des taux – inévitable mais incertaine quant à son calendrier – sera intervenue ?
Absence d’accord pour accroître les ressources du FMI
Parmi les pommes de discorde lors de la réunion de Washington, j’ai noté l’absence d’accord pour accroître les ressources du FMI, les conflits commerciaux et la taxation des GAFA. Les menaces commerciales venues de l’administration Trump ne sont pas nouvelles. Elles pèsent sur la confiance et la croissance mondiales. Ce qui est devenu patent lors de la réunion de Washington, c’est qu’elles ciblent désormais l’Europe en plus de la Chine. Les jeux triangulaires sont souvent dangereux car ils suscitent des coalitions, et l’UE pourrait bien faire les frais d’un possible rapprochement sino-américain. Les discussions se focalisent en ce moment sur le conflit Airbus/Boeing, mais l’enjeu est beaucoup plus large.
Quant à la taxation des GAFA, rien d’inattendu. Les Américains vont résister. La question est renvoyée pour travaux supplémentaires à l’OCDE, qui va éclairer la question mais n’a pas de pouvoir décisionnel en l’espèce. La France a pris les devants sur ce sujet controversé. Souhaitons seulement que nous ne restions pas trop seuls trop longtemps, même en Europe.
Derrière tout cela, se manifestent une crise de la gouvernance mondiale, une «fatigue» du G20 et de nombre d’organismes internationaux. Un signe qui ne trompe pas : le Japon, qui préside le G20 en 2019, veut placer en première ligne des préoccupations les déséquilibres macroéconomiques dans l’économie mondiale. Cela fait plus de 40 ans que le thème est à l’ordre du jour des sommets internationaux, et qu’il ne se passe rien de concret en la matière !