A quelle sauce les marchés financiers vont être mangés cette année ? 2023 débute après une séquence de relèvements de taux d’intérêt de part et d’autre de l’Atlantique. Jean-Paul Betbeze explique pourquoi ce concert monétaire des Banques centrales va profiter aux opérateurs.
2022 s’est terminée sur une rare salve de quatre hausses de taux identiques de 50 points de base, pour envoyer, paradoxalement, au monde financier un message positif. Le 15 décembre 2022 en effet, c’était la banque centrale des États-Unis qui commençait avec 0,5% de hausse, interrompant sa série des 0,75%. Le 16, c’étaient celles de Suisse, du Royaume-Uni le matin, de la zone euro en début d’après-midi qui suivaient. Bien sûr, leurs quatre économies ne sont pas du tout dans la même situation en termes de niveaux de taux d’intérêt, comme de taux d’inflation. C’est, pour la Suisse : 1% de taux d’intérêt contre 3% de taux d’inflation ; pour les États-Unis : 4,5% contre 7,1% ; le Royaume-Uni : 3,5% contre 10,7%, et pour la zone euro 2,5% contre 10,1%. Quatre doses identiques pour quatre situations différentes, il ne pouvait y avoir qu’une seule lecture immédiate de ce message : aucune hausse future ne dépassera 0,5% ! C’en est fini des 0,75% !
Les hausses ralentissent
Les grandes banques centrales jugent donc terminé le sursaut inflationniste post Covid et surtout post invasion de l’Ukraine par la Russie, les prix du gaz et du pétrole devant baisser. Resteront donc, seules, les pressions salariales comme sources du risque inflationniste. Ce risque sera alors « traité » d’abord par plus ou moins de hausses de 50 points de base : 1 en Suisse au maximum, 1 ou 2 aux Etats-Unis, 2 ou 3 en zone euro et au Royaume-Uni. Puis ce seront des hausses de 25 points de base, puis plus rien, puis des baisses. Hors catastrophes bien sûr.
Mais la vraie nouveauté n’est pas là. Bien sûr, les grandes banques centrales ne diront jamais qu’elles patienteront deux ans pour atteindre les fameux 2% d’inflation, en tangentant une récession modeste. Et pourtant : elles veulent calmer l’inflation salariale par un peu plus de chômage temporaire. Ce sera 2% d’inflation plus tard, donc des profits supérieurs maintenant. Les bourses devraient aimer.
C’est bien pourquoi les bourses attendent actuellement les données américaines d’inflation, en commençant (indirectement) par les salaires horaires, qui semblent décélérer. Elles donneront le tempo de la Fed et, plus profondément, celui du quatuor Fed-BNS-BoE-BCE qui vient de se monter. Il est donc vain de se demander si les grandes banques centrales ne devraient pas faire passer leur objectif d’inflation à 3%, pour gagner en flexibilité. Ce serait aujourd’hui le meilleur message pour relancer les revendications salariales, au moment même où, en jouant la prolongation de l’écart entre son inflation cible et l’inflation effective, les banques se rapprochent de ce qu’elles veulent… par la baisse du salaire réel. Les bourses devraient aimer.
Les bourses jouent le temps long
Bien sûr, ceci ne veut pas dire que tout est résolu. Les banques centrales ont intégré les besoins financiers nouveaux qui vont naître des politiques de réindustrialisation aux Etats-Unis (IRA : Inflation Reduction Act), en attendant le projet clone et concurrent européen qui se prépare, entre Français et Allemands. Elles savent aussi qu’elles devront soutenir les tissages des nouvelles chaînes de valeur, pour être moins dépendants de cette Chine qui devient un risque géostratégique, après avoir été un paradis désinflationniste.
La mutation écologique, avec les besoins techniques et humains qu’elle implique : mises au rebut, investissements et nouveaux équipements, notamment chez les ménages, va exiger en plus d’énormes besoins de capitaux. Sans oublier les équipements militaires. Les bourses devraient aimer.
En réalité, le monde est en train de mener une autre « grande transformation ». Le quatuor des banques centrales, bientôt rejoint par celle du Japon, a devant lui une tâche immense qu’il vient de commencer. Il ne pourra la mener sans des accords stratégiques avec d’autres. Les bourses devraient aimer la suite de cette nouvelle musique, en comprenant ce qui se joue : une grande et longue phase de modération salariale, avec sans doute, souhaitons-le, d’autres façons d’inventer des dividendes salariaux pour ne surtout pas faire trop monter les taux longs. L’endurance des investisseurs à accepter ces rendements négatifs a sûrement ses limites : il ne faut pas la tester. Allonger le temps de retour à 2% d’inflation tout en montrant leur détermination : c’est ce que vont faire les Banques centrales pour ralentir la pentification de la courbe des taux. Toute la suite en dépendra. Bourses : elles pensent à vous pour 2023, et bien après.