Les moments de crise sont particulièrement instructifs car c’est alors que les symptômes des dysfonctionnements de la société apparaissent le plus clairement. L’épidémie de coronavirus, qui a pris ces dernières semaines une nouvelle dimension en étant même qualifiée de « très grave menace pour le monde » par l’Organisation Mondiale de la Santé, nous révèle déjà trois impasses dans lesquelles nos représentations sociales se fourvoient aisément. Nous accordons trop de pouvoir aux nouvelles technologies, trop de confiance aux chiffres et pas assez de crédit en nos capacités à réagir dans des situations d’urgence.
Le contrôle social mis en place par la Chine à grand renfort de vidéo-surveillance à reconnaissance faciale et de collecte des données du web et des réseaux sociaux est souvent présenté comme l’avènement d’une société Orwellienne où, grâce à la technologie rien n’échappe au pouvoir. Les autorités sanitaires sont pourtant toujours incapables d’identifier l’origine de l’épidémie et, surtout d’empêcher sa propagation. Technophiles et technophobes réunis en seront pour leur frais, car au 21 siècle il apparaît que pour lutter efficacement contre une épidémie, il n’y a pas mieux que la quarantaine. Il y a près de 700 ans, une ordonnance du Roi de France imposait de procéder ainsi les lépreux.
Face à l’émoi, certains commentateurs se sont jetés sur les chiffres disponibles et ont cru bon de présenter des graphiques où il apparaissait que Covid-19 n’était pas plus dangereux que la grippe saisonnière, créant une légitime confusion car ces nouvelles rassurantes ne collaient pas vraiment avec les messages alarmistes des autorités sanitaires. Dans leur précipitation, nos fétichistes du chiffre ont oublié que le recensement des malades et des décès est très incertain lorsque apparaît une nouvelle forme d’épidémie et qu’il est incorrect de rapporter le nombre de décès au nombre contemporain d’infectés lorsque ce dernier progresse vite. Ce n’est pas parce que l’on sait faire une division que l’on peut se prétendre épidémiologiste.
Mais surtout, force est de constater que la réaction mondiale face à cette crise sanitaire a été très importante. Tous, organisations internationales, Etats et simple citoyens ont modifiés leurs agenda, relégués leurs priorités et pris des mesures drastiques afin d’enrayer l’épidémie. Cette réaction est réjouissante dans un monde qui a un peu tendance à tout qualifier de « crise » : économique, sociale, politique, environnementale … pour ensuite dénoncer avec la même vigueur notre inaction et notre incapacité à prendre la mesure des divers enjeux qui nous menacent.
La capacité à éradiquer les épidémies est clairement un attribut de pays développé et c’est aussi à cet égard que l’on peut compter sur la Chine, et sur appétit à en être, pour mettre les moyens nécessaire à l’arrêt du coronavirus. C’est notamment ainsi que l’on se distingue des pays à faibles revenus pour lesquels, ne l’oublions pas, les diverses infections des voies respiratoires constituent la première cause de mortalité. Covid-19 représente un grand danger, avant tout, pour les populations de ces pays.
Chez nous, l’enjeu sanitaire concerne plutôt la capacité à lutter contre les maladies non transmissibles et à adapter le système de soin au vieillissement de la population. Espérons qu’Olivier Véran saura faire entendre au gouvernement l’urgence qu’il y a désormais à prendre les mesures qui permettront aux professionnels de faire face -avec la même efficacité que pour une épidémie- à la forte hausse de la demande de soins que nous vivons actuellement.