Le maintien de la note « AA » sur la trajectoire de la dette française par S&P est vu par le gouvernement comme une récompense pour sa politique. Mais selon Patrice Geoffron, Bercy a tort d’assurer que le recours à l’endettement pour décarboner l’économie n’est pas la solution.
En ce printemps, la question climatique a pris une tournure moins « théorique ». Tout d’abord, la Première ministre a présenté les objectifs de planification écologique, permettant de toucher du doigt les défis : d’ici 2030, la France devra ramener ses émissions de CO2 de 420 millions de tonnes/an à 265 (avec des bouleversements à venir dans les transports, l’industrie, le logement, etc.) le tout dans le cadre de l’engagement de réduire celles de l’UE de 55%. Soit, d’ici la fin de la décennie, un effort plus important que celui accompli en 30 ans… Par ailleurs, le coût de la décarbonisation a été posé au centre du débat : selon le désormais fameux rapport Pisani-Ferry (coécrit avec Selma Mahfouz), l’effort d’investissement annuel sera d’environ 70 milliards d’euros (plus de 2% du PIB). Logiquement, la question du financement de cet effort s’est immédiatement posée, les auteurs considérant que le surcroît de dépenses publiques flirtera avec la trentaine de milliards/an.
Les circonstances font que ce débat s’est cristallisé au moment où la notation de la France était examinée par S&P, avec un maintien de justesse du AA (contrairement à Fitch au mois d’avril). Dans ce contexte, Bruno Le Maire et Gabriel Attal se sont empressés d’affirmer que le recours à la dette pour décarboner la France ne saurait être la solution. Même si ces positions sont une posture, prenons nos argentiers au mot, et demandons-nous si ce veto est la meilleure manière d’assurer la soutenabilité à long terme de la dette.
Les conséquences immédiates
Pour cela, il faut analyser les turbulences subies par notre économie ces dernières années : deux chocs énergétiques majeurs et une crise sanitaire massive.
Le premier des chocs est la crise des « gilets jaunes », avant toute chose résultat d’un doublement du prix du pétrole entre 2016 et 2018. Le deuxième de ces chocs est encore en cours, suite à l’agression russe en Ukraine, conduisant l’Europe à rompre les liens avec son premier fournisseur de fossiles. Ces deux chocs rappellent que nous importons 99 % de notre pétrole, 98 % de notre gaz, et que notre addiction aux fossiles nous met régulièrement en stress extrême. Et, mécaniquement, l’État est alors contraint d’être « l’assureur en dernier ressort », alourdissant la dette de dizaines de milliards d’euros.
Concernant la crise sanitaire, de nombreux travaux issus de la recherche médicale (de l’INSERM notamment) ont établi que sa violence a été aggravée dans les métropoles dont l’air était dégradé. Les mécanismes sont assez clairs : des populations soumises à des pollutions de l’air sont fragilisées (avec plus de facteurs de comorbidité), avec directement plus de pression sur les systèmes de santé, plus d’obligations de confinement et un rehaussement du « quoi qu’il en coûte ».
Le coût de l’inaction
De telles analyses sont particulièrement frappantes dans le cas de l’Ile-de-France par comparaison aux villes de la côte Atlantique (de même, par ailleurs, que pour la Lombardie, principale région industrielle d’Italie). Autrement dit, si la France avait été d’ores et déjà plus décarbonée, une partie des centaines de milliards d’euros mobilisées pour traverser la crise sanitaire aurait pu être épargnée.
Ce qui revient à dire que l’inaction climatique n’a pas que des coûts globaux (sécheresse dans l’Ouest américain, submersion d’îlots dans le Pacifique …), mais également des conséquences ici et maintenant dans notre collectivité. Le tour de force est d’expliquer aux agences qui notent la France (et ses voisins) qu’accélérer la décarbonation est la meilleure garantie qui leur soit offerte (la seule, en fait). A contrario, il fait peu de doutes que le statu quo serait une impasse, pour la France et ses bailleurs. Le discernement de la France dans son modèle de décarbonation est un enjeu qui dépasse le strict périmètre de l’Hexagone : la Nation où s’est scellé l’Accord de Paris ne peut échouer dans sa mise en œuvre.