Selon Pierre Jacquet, face à la complexité des problèmes économiques et sociaux actuels, utiliser le PIB comme seul indicateur altère notre compréhension des urgences que doivent affronter nos sociétés.
A quelle aune commenter la conjoncture française ? Faire l’impasse sur cette question, c’est implicitement réduire la conjoncture à la croissance du produit intérieur brut (PIB) et aux dérapages des budgets publics et de l’inflation. Mais est-ce pertinent ? Les vrais objectifs ne relèvent-ils pas plutôt de l’amélioration durable du bien-être individuel et collectif et de la qualité de vie ? Le PIB, au mieux une piètre mesure, reste hélas la boussole presque unique. Le débat entre croissance et décroissance, de ce point de vue, semble bien décalé, tant qu’il s’agit de croissance… du PIB.
La conjoncture économique s’appréhende mieux autour de trois urgences imbriquées. La première, c’est la crise énergétique. Ouvertement déclenchée par la guerre en Ukraine, elle est fondamentalement liée à une dépendance excessive vis-à-vis des énergies fossiles, pour des raisons aussi bien politiques et économiques que climatiques et environnementales. La seconde, ce sont les inégalités, aggravées par la hausse des prix. La troisième est celle du cadre macroéconomique, dont l’histoire a souvent montré le rôle déterminant.
L’indispensable débat sur la répartition des revenus
A court terme, il est légitime de freiner la hausse brutale des prix de l’énergie ; mais l’avenir durable est au renchérissement des énergies fossiles. L’enjeu est donc, non pas de l’empêcher, mais de le rendre progressif et acceptable en organisant la transition : investissements dans la diversification des sources d’énergie (y compris nucléaire), rénovation énergétique des bâtiments et des logements, aménagement urbain, offre de transports et d’infrastructures adaptées. Le signal prix en sera un élément essentiel, mais ce ne peut pas être le seul.
L’explosion des prix de l’énergie remet au premier plan le débat sur les inégalités et la répartition des revenus. Le blocage des raffineries en a été l’un des avatars. Il est légitime de questionner la répartition d’une manne exceptionnelle, liée à la hausse des prix et au principe de tarification au coût marginal, et dont le bénéfice est loin de correspondre aux mérites.
Au-delà de l’urgence de la situation, le chantier fondamental demeure celui de la répartition des revenus, qui reflète une distorsion patente, pour de nombreux emplois, entre la rémunération du travail et son utilité sociale – décalage trop brièvement et partiellement entrevu lors des messages de soutien pendant la pandémie de Covid-19. Encore un exemple où le marché et le système de prix ne représentent pas correctement la valeur.
Regarder les problèmes économiques et sociaux en face
La stabilité macroéconomique est essentielle. Elle ne se définit pas, surtout en période de crises, par le respect de cibles totems d’inflation ou de déficits, mais plutôt par la capacité d’empêcher des déséquilibres permanents de déraper de façon non contrôlée. Ne pas laisser le déficit budgétaire se creuser davantage (en l’absence de nouveaux chocs) relève aujourd’hui du bon sens. Se préoccuper d’ une potentielle boucle prix-salaires aussi, à condition de constater, comme le Fonds monétaire international y invite, qu’elle ne s’observe pas dans les faits.
Les hausses de salaire restent inférieures à l’inflation. Ce qui compte, c’est de suivre un cap cohérent, de façon compétente et crédible, pour « ancrer les anticipations » et convaincre que les problèmes sont maîtrisés avant de dégénérer. Agiter sans arrêt les totems peut faciliter la mobilisation collective, mais peut détourner des problèmes économiques et sociaux de fond. Ils nous rattraperont tôt ou tard.