Transitions énergétique, numérique : les investissements à déployer dans les prochaines décennies sont colossaux. Pour Christian de Boissieu, l’épargne qui continue de s’accumuler pourrait être la solution, si la réglementation évolue.
Le monde, l’Europe et la France regorgent d’épargne. D’épargne privée, spécialement celle des ménages, le secteur public étant un peu partout en situation de déficit, donc de désépargne.
Les raisons en sont multiples : l’abondance de liquidités avec des politiques monétaires très souples jusqu’en 2021, la multiplication des chocs et des guerres, l’incertitude et la défiance qui nourrissent une abondante épargne de précaution. Le surcroît d’épargne dû à la pandémie n’est toujours pas résorbé : le taux d’épargne moyen des Français reste proche de 19%, contre environ 15% avant Covid. Face à l’inflation, ils n’ont pas cherché à maintenir leur consommation en désépargnant, tant est vive la crainte du futur.
Les conflits d’horizons
Autant d’épargne privée devrait en principe permettre de financer les investissements massifs requis par la transition énergétique et écologique, le numérique, le besoin d’infrastructures dans l’éducation, la santé, …Mais le problème de l’épargne est qualitatif : ces investissements exigent des financements à long terme, alors que le contexte accentue la préférence pour la liquidité et des placements à court terme peu risqués. Ce conflit d’horizons n’est pas nouveau, mais il est plus gênant vu les défis à relever.
Autrefois, une solution venait de la « transformation » par les banques, consistant à financer des crédits à long terme à partir de ressources à court terme. Cela a permis le financement d’une bonne part des « Trente Glorieuses ». Aujourd’hui, un tel écart dans les bilans bancaires est moins dans l’air du temps. La réglementation requiert des banques qu’elles financent du long terme en grande partie via des ressources longues, moins aisées à mobiliser.
Diversifier les sources de financement
Pour atténuer ce conflit d’horizons entre l’épargne et l’investissement, plusieurs pistes, complémentaires, devraient être suivies.
La diversité des sources de financement doit être la règle. Surtout ne pas tout attendre des politiques monétaires, trop sollicitées du fait des carences des autres politiques publiques. Cela veut dire qu’à côté des financements bancaires, il faut compter sur les marchés financiers, les grands gérants d’actifs, les fonds d’investissement, et même pour des projets plus modestes sur la finance participative. Avec le long terme, les risques sont accrus, la rentabilité plus aléatoire. L’Etat, en plus des financements publics, devra dans des cas précis intervenir en apportant sa garantie et, ce faisant, en décuplant via un effet de levier les concours privés.
La réglementation des banques et des assurances devra évoluer
Il faut également compter sur les bons instruments financiers pour faciliter l’ajustement épargne/investissement. Pas « d’inflation » de produits financiers, mais plutôt la recherche de l’efficacité. Vu l’importance de la dimension territoriale, il serait opportun de relancer, en les améliorant, les fonds d’investissement de proximité de la loi Dutreil.
Il ne faut pas sous-estimer le rôle de la fiscalité. Pour allonger l’épargne des ménages, il convient de mieux différencier les prélèvements selon l’échéance des placements. Un souci plus large que l’écart, par ailleurs souhaitable, entre la fiscalité des actions et celle des obligations.
Enfin, la réglementation des banques et des assurances devra évoluer en partie à la lumière de ses effets sur l’économie réelle. S’il est essentiel de disposer d’intermédiaires financiers solides, cela ne doit pas les détourner des financements à long terme qui conditionnent notre avenir collectif.