Nul besoin d’un modèle sophistiqué de prévision des taux d’intérêt pour affirmer que ces derniers vont poursuivre leur hausse… La question « jusqu’où » peuvent-ils monter est d’autant plus délicate que la réponse dépend des taux auxquels il est fait référence et surtout à quel horizon. Explications de Catherine Lubochinsky.
A court terme, les prochaines hausses des taux d’intervention sont déjà actées par les marchés financiers. Avec le retour de l’inflation, les références aux années 1980 se multiplient, période au cours de laquelle ces taux ont dépassé les 10 % (17 % pour la Banque de France en 1984) jusqu’à ce que le contrechoc pétrolier de la deuxième moitié des années 1980 permette une décrue de l’inflation. Le niveau que peuvent atteindre les taux courts dépend donc des prévisions d’inflation. Les banques centrales ont pour mission de lutter contre l’inflation mais lors des dernières crises (financière, dettes souveraines, Covid-19), leur préoccupation principale a été les récessions. La tâche était relativement aisée dans un contexte de stabilité des prix (voire de risque de déflation), évidemment plus complexe pour la BCE qui doit simultanément gérer les risques de fragmentation en zone euro.
Une hausse limitée des taux directeurs en vue
Cette différence transatlantique est encore plus marquante de nos jours pour trois motifs : d’une part les facteurs explicatifs de l’inflation diffèrent (choc de demande vs choc d’offre et impact différencié de la crise énergétique issue de la guerre en Ukraine) et donc l’efficacité d’une hausse des taux d’intervention des banques centrales pour juguler l’inflation diffère, ce qui conduit à prévoir une plus forte hausse des taux en zone euro ; par ailleurs, le taux d’emploi maximum est un objectif explicite de la Fed alors que l’objectif principal explicite de la BCE ne concerne que la stabilité des prix ; enfin, la BCE doit faire face à une divergence accrue des taux d’inflation en zone euro. Le taux annuel d’inflation pour septembre 2022 s’élève à 9,9 % (8,2 % pour les USA) mais va de 6,9 % pour la France à 24,1 % pour l’Estonie en septembre 2022.
Il est raisonnable d’envisager que la hausse prévisible des taux directeurs des banques centrales est limitée. En effet, deux facteurs sont à prendre en compte : d’une part leur préoccupation quant aux conséquences sur l’activité économique (explicite ou implicite) et d’autre part, surtout en zone euro, les conséquences en termes de stabilité financière. La hausse des taux courts peut se poursuivre tant que ces taux correspondent à des taux d’intérêt réels négatifs. Des taux d’intérêt réels positifs dans un contexte de très faible croissance du PIB semble peu probable.
Pour un programme « anti-fragmentation » de la BCE
Le deuxième facteur à prendre en compte concerne l’impact sur les taux longs et la pentification de la courbe des taux (liée à la fin ou au ralentissement du Quantitative Easing). La pentification est indéniable des deux côtés de l’atlantique, les taux longs anticipant une poursuite de la hausse des taux d’intervention des banques centrales. Cette remontée (plus que le niveau lui-même) des taux longs pose problème compte tenu des taux d’endettement des économies occidentales. Il en va ainsi pour les taux d’endettement publics, dont l’hétérogénéité en zone euro se traduit par une augmentation des primes de risques de défaut (taux 10 ans Italie à 4,60% pour un taux Allemagne à 2,43 %). D’où la nécessité d’un programme « anti fragmentation » par la BCE.
A ceux qui prônent une très forte remontée des taux de la BCE, rappelons que, selon les calculs de Fipeco, si une hausse de 1 point du taux d’inflation engendre un cout supplémentaire de 2,2 milliards d’euros sur la dette publique indexée, une hausse (au 1er janvier) de 1 point de tous les taux d’intérêts (déplacement parallèle de la courbe des taux), se traduit par une augmentation de la charge d’intérêts de 2,5 milliards d’euros la première année, jusqu’à 29,5 milliards d’euros la dixième année.
Les banques centrales réagissent donc pour l’instant à l’inflation. Supposons qu’elles soient efficaces. Les facteurs explicatifs à long terme des taux réels (démographiques, productivité, besoins massifs d’investissement pour le climat etc.) conduisent à prévoir que ces derniers devraient rester durablement faibles.