Cette idée d’inspiration néolibérale, selon laquelle les pays en développement devaient adopter certaines règles (privatisations, stabilité monétaire) pour bénéficier d’aides internationales est en train de faire long feu. La crise est passée par là et il faut adopter une approche différente pour accompagner la croissance, écrit Jean-Hervé Lorenzi.
Cela fait des décennies que nous vivons sous la férule d’une règle, le « consensus de Washington » , à laquelle personne ne croit vraiment mais qui est devenue comme un code religieux auquel il faut se soumettre quoi qu’il arrive.
Il s’agit dans sa définition de considérer que le développement des pays passe exclusivement par une insertion plus large dans le commerce international, exempté de toute forme d’accompagnement et d’entrave possible. Les pays ne se voyaient accorder de subsides des grandes institutions internationales qu’à condition de respecter scrupuleusement ces principes : privatisations des entreprises publiques, réforme fiscale, stabilité monétaire, élimination des barrières à l’investissement, adoption d’un taux de change unique et compétitif, etc. Par ailleurs le FMI consacra une large partie de ses activités à établir des plans de restructuration qui mettaient en œuvre ces principes.
Le monde a changé
Soyons justes, on ne peut sûrement pas tout jeter aux orties et certaines règles de bon sens du « consensus » avaient le mérite de s’éloigner de pratiques peu efficaces pour la croissance des pays. Mais, au-delà même des présupposés idéologiques, la vraie difficulté reposait sur le fait qu’il s’agissait d’une démarche simpliste, comme si tous les pays du monde en difficulté étaient semblables, n’avaient pas une histoire propre, des équipes socio-économiques particulières.
Il eût fallu évidemment prendre en compte beaucoup plus précisément les spécificités de chaque pays pour agir efficacement. En un mot la dette n’est évidemment ni un mal en soi, ni la solution à tous les problèmes. Tout dépend de ce à quoi elle est consacrée, son ampleur et sa capacité à créer de l’activité et des richesses.
Tout cela aurait pu durer éternellement, avec un débat largement codifié comme une sorte de règle intangible. Mais le monde a changé, et même la façon de le penser. La crise de 2007-2008 a transformé très profondément les équilibres macroéconomiques précédents. Le multilatéralisme s’est progressivement éteint et on voit bien que des formes très atténuées d’une remise en cause de la globalisation telle qu’on l’a connue sont en marche dans un cadre qui a vocation à se renouveler très profondément. En réalité depuis cette crise, l’économie mondiale ralentit, les dogmes monétaires et financiers sont peu ou prou remis en cause et, dans ce grand mouvement, le « consensus de Washington » ne fait heureusement pas exception.
« Consensus de Dakar »
Le Cercle des économistes a été partie prenante de cette remise en cause puisque, avec le FMI et sous le patronage de six chefs d’Etat africains, nous avons participé à l’élaboration d’une approche différente de la croissance en Afrique, si importante pour tous et notamment pour la croissance française.
Ce « consensus de Dakar » présenté lors d’un discours conclusif du président Macky Sall comporte beaucoup de ruptures avec la vision passée. On se doit notamment de retenir l’urgence des besoins d’investissements en Afrique dont on sait qu’ils sont essentiels pour la croissance économique mondiale dans les années qui viennent. Il faut également retenir, ce qui est fondamental pour l’avenir, une perception du risque en Afrique très excessive ce qui entraîne évidemment des coûts d’investissement et de dette non adaptés.
Il faut que cette prise de conscience se fasse rapidement, notamment en France ; pour cela la convergence des institutions internationales est en marche, à commencer par la vision majeure du centre de développement de l’OCDE exprimée il y a quelques mois à Madrid.