Les français sont-ils paresseux, comme nous l’entendons souvent ? Pour Jean-Hervé Lorenzi, c’est tout l’inverse, c’est simplement que le rapport de force sur le marché du travail s’est inversé. C’est maintenant au travail, de répondre aux attentes des jeunes.
Ca y est, on a l’explication de tous nos maux. C’est une épidémie de flemme qui est à l’origine de tout cela. Évidemment, ceci est inexact sur le plan des statistiques puisque depuis 2020 le taux d’activité des jeunes augmente de manière significative chez les 20 à 29 ans. Au-delà de cette méconnaissance des chiffres, il y a deux erreurs conceptuelles qu’il nous faut éclairer.
La première est la plus importante. Nous avons vécu les trente dernières années avec l’idée que le chômage de masse était une fatalité, et cette époque est révolue. En effet, il y a encore quelques années, la demande de travail était très largement supérieure à l’offre proposée. En effet, le rapport de force était a l’avantage des entreprises qui se retrouvaient pour chaque emploi avec des piles de CV. Mais il a été crée beaucoup d’emplois dans notre pays, malheureusement majoritairement de faible qualification ce qui explique la quasi nullité actuelle des gains de productivité du travail.
L’inversement du rapport de force
Désormais nous sommes partis dans une logique de plein emploi pour les cinq à dix ans à venir. Bien entendu nous sommes aidés par la démographie puisque le solde net de nouveaux emplois crées et de 50 000 alors qu’il était entre 100 000 et 150 000 auparavant. Et puis il y a eu de nombreuses reformes du travail démarrées par Madame El Khomri et poursuivies dans les années suivantes.
Le rapport de force entre offre et demande de travail a basculé et ceci entraîne une deuxième rupture qu’il nous faut prendre en compte. Désormais, les jeunes en particulier, ont des exigences légitimes concernant leur rémunération et leurs conditions de travail. Et lorsque celles-ci ne sont pas satisfaites, ils refusent les emplois proposés. Et pourtant, la France se distingue d’autres pays comme les Etats-Unis par le fait qu’il n’y a pas eu de grande démission, habituelle en sortie de crise.
Décidément la France n’est pas flemmarde. Il y a en fait un réajustement du fonctionnement du marché du travail, qui entraîne une transition et des incertitudes qu’il est bien imprudent de considérer comme des logiques qui vont s’imposer sur le long terme.
Le travail n’est pas suffisamment attractif
Écartons-nous alors d’une vision binaire du problème et posons-nous la question de savoir si une partie de nos déséquilibres peuvent être surmontés par une augmentation de la quantité de travail des Français. C’est à cette tâche que s’est attelée la Chaire « Transitions démographique, transitions économiques » et les résultats sont passionnants.
Nous pouvons rééquilibrer nos comptes publiques et extérieurs pour peu que l’on aboutisse dans dix ans à un accroissement de 8% du nombre de salariés, toutes choses égales par ailleurs. Ceci correspond à des gains de productivité de 0,8%, et 200 000 créations d’emploi annuelles. C’est la tendance des dernières années.
Peut-on raisonnablement dire qu’un pays est flemmard parce qu’il manque 8% d’emplois ? On peut par ailleurs aisément les trouver, en augmentant les taux d’activité des jeunes et des plus de 60 ans, et surtout en modifiant l’attractivité des emplois proposés. Pour cela quatre conditions s’imposent, la reconnaissance de l’utilité d’un métier, la rémunération, les conditions de travail et les perspectives offertes au long d’une carrière.
Tout cela ne se fera pas aisément, et c’est la raison pour laquelle nous souhaitons que soient lancées le plus vite possible des Assises du travail réunissant tous les acteurs, jeunes et vieux, de l’organisation de l’emploi dans notre pays.