A l’heure de la remontée des taux d’intérêt, les aides sociales et fiscales débloquées par l’Etat font rejaillir les craintes liées à l’augmentation de la dette. Pour Alain Trannoy, la gestion des finances publiques s’annonce très serrée mais la situation est tenable.
L’alerte a été chaude avec les turbulences sur la dette britannique au mois d’octobre. Un désordre ici ou là peut entraîner des secousses qui ébranlent tout le système financier et peut faire craindre un retour d’une crise de l’Euro. La gestion de la dette française est marquée par un grand professionnalisme de l’agence France Trésor. Il n’empêche que la remontée inexorable des taux rend plus périlleux la question de la soutenabilité de la dette. La logique du « quoi qu’il en coûte » est derrière nous. Elle se défendait quand le taux d’intérêt était négatif ou nul. Une logique économique plus standard doit présider au bon niveau du déficit dans les années à venir et déjà l’année prochaine.
Cette logique peut être comprise dans un cas simple. Sans déficit supplémentaire, et si l’on fait rouler la dette, une dette est soutenable si le taux de croissance du PIB en valeur est plus élevé que le taux d’intérêt nominal auquel le pays emprunte. Parce que chaque année une telle dette grossit du taux d’intérêt. On emprunte pour une année de plus. Et le coût de s’endetter une année de plus, c’est justement le taux d’intérêt.
Pour 2023, le taux de croissance du PIB annoncé à 0,5% s’ajoute au taux d’inflation qui commencera à baisser, espérons à 5%. Cela nous laisse une marge par rapport à des taux d’intérêt qui pourraient culminer à 3,5%. Cette marge de 2% c’est grosso modo le taux de croissance de la dette due au déficit public de 2023 qui viendra s’ajouter à la dette existante. Comme le PIB est un peu plus petit que la dette, le déficit public en pourcentage du PIB qui maintiendrait le ratio Dette/Pib serait un peu supérieur à 2%, de l’ordre de 2,5%. Or en Loi de Finances le déficit prévu est prévu à 5%, le double.
La pente importe autant que le niveau
Dans la gestion de la dette publique, la pente importe autant que le niveau, et plus le niveau est élevé, plus la pente devient importante. La politique de prise en charge d’une grande partie du coût la hausse du prix de l’énergie par l’Etat en 2022 était sans doute un bon calcul pour écrêter le niveau d’inflation en France. Elle va trouver ses limites en 2023 et les ménages, ainsi que les entreprises, doivent nécessairement en supporter une partie. Aller au-delà de ce qui est prévu en Loi de Finances serait déraisonnable, alors qu’on entend ici et là de nouveau des demandes pour aller au-delà. Il importe évidemment que les ménages les plus vulnérables soient protégés et que les entreprises du secteur exposé puissent maintenir leur activité en France. La qualité du ciblage devient essentielle.
Le risque d’une baisse de l’inflation sans baisse des taux
Mais au-delà de 2023, une baisse du taux d’inflation et un maintien des taux d’intérêt vers 3% rend possible un effet de ciseaux. Du coup, la marge dont il est question plus haut, marge pour continuer à compter sur l’emprunt pour financer des dépenses publiques, risque de s’amenuiser. Un freinage des dépenses publiques sera indispensable, en l’absence d’un relèvement des impôts. Celui-ci ne correspond pas d’ailleurs au goût de l’équipe actuelle au pouvoir, et au demeurant, elle est peu souhaitable globalement vu le haut niveau de prélèvement obligatoire dans notre pays, champion dans ce domaine en zone Euro.
La suppression de tout soutien aux ménages et aux entreprises pour s’adapter à des prix de l’énergie plus élevés serait alors le candidat tout trouvé au couperet budgétaire. En pratique, toutefois, la mise en œuvre d’une fin des aides est souvent plus compliquée. Le sevrage se révèle souvent douloureux et il faudra un certain courage politique pour arrêter la perfusion.
La gestion des finances publiques va donc nécessiter un certain doigté dans les années prochaines mais il n’y a rien d’impossible. La situation n’est pas inquiétante mais elle nécessite une certaine vigilance. Il faut rester conscient de la formidable richesse collective du pays, entreprises, ménages et pouvoirs publics confondus à 18 000 milliards d’euros. A côté, la dette publique fait encore pâle figure, un peu moins de 3 000 milliards d’euros !