Après les soubresauts des valeurs bancaires de part et d’autre de l’Atlantique, les marchés se sont calmés. La faillite de SVB et la déroute de Credit Suisse restent dans les mémoires et interrogent sur la régulation du système. Bertrand Jacquillat explique pourquoi il est urgent de réformer profondément le secteur bancaire pour éviter les effets collatéraux sur l’économie globale.
On se croyait à l’abri d’une nouvelle calamité financière après les réformes que la violente crise financière de 2008/2009 avait provoquée en matière de réglementation et de surveillance bancaire. Mais l’actuelle crise financière dont le principal foyer fut la Silicon Valley Bank n’a rien à voir avec la précédente. Pas de produits financiers complexes et toxiques logés au sein de véhicules financiers opaques, mais le bon vieux bank run transformé par la technologie : un simple clic d’ordinateur a remplacé les queues pour transférer son épargne en lieu sûr.
Bank run 2.0
Ce bank run des temps modernes s’est produit dans un environnement de remontée brutale de l’inflation. Avec les hausses de taux répétées et importantes des banques centrales pour la combattre, les déposants ont pris la décision rationnelle de transférer leur épargne dans des placements mieux rémunérés que leurs dépôts à vue. Mais la hausse des taux a eu comme autre conséquence fatale pour la SVB, la dépréciation du portefeuille d’obligations du Trésor américain que la banque avait constitué en procédant à un carry trade classique : utiliser les dépôts à vue, en principe stables, peu ou pas rémunérés des clients, et les investir dans des actifs mieux rémunérés.
Avec la hausse des taux, les obligations perdent de leur valeur, au moment même où la banque doit en vendre pour faire face aux retraits des déposants. Il a suffi de quelques heures le 9 mars dernier aux déposants de la SVB pour y effectuer des retraits de 45 milliards de dollars.
Pour éviter le risque macro-économique de la hausse des taux d’intérêt sur le secteur bancaire, la garantie des dépôts (à hauteur d’une limite de 250 000 dollars) a été étendue à tous les dépôts quel que soit leur montant. C’est ainsi que, de crise en crise, le système bancaire est devenu peu ou prou un service extérieur de l’Etat. Pour éviter ce gâchis, il convient de reconnaître que la garantie des dépôts, qui représente une subvention implicite aux actionnaires, encourage l’endettement et la prise de risque. Par conséquent, la régulation bancaire doit concerner tous les établissements financiers ayant des dépôts car ils présentent tous directement ou indirectement un risque systémique, quelle que soit leur taille.
Restreindre la prise de risques
Par ailleurs, la stabilité financière n’est pas l’ennemi de la croissance économique. Au contraire, les crises financières à répétition nuisent à cette dernière. Il convient donc de restreindre la prise de risques inconsidérés. Cela passe d’abord par la poursuite de la diminution du levier d’endettement bancaire. Au moment de sa faillite, le ratio des fonds propres à son bilan de Lehman Brothers était d’à peine 3%. Le ratio d’endettement du système bancaire américain et européen est aujourd’hui de l’ordre de 10%. Mais rien ne justifie que celui-ci soit largement inférieur à celui des entreprises industrielles et commerciales, de l’ordre de 50%.
Décourager la prise de risques inconsidérés passe aussi par l’application de pénalités, à l’encontre du management des banques en faillite, dont les rémunérations variables importantes sont autant d’incitations à la prise de risques ayant conduit à la faillite. Avec une telle perspective, la direction de la SVB n’aurait pas laissé la banque sans direction de la gestion des risques pendant six mois. En définitive, le titre donné à cette chronique est un oxymore. En effet, si les risques économiques pouvaient être exactement anticipés, les mesures correctrices pour se prémunir de leurs effets auraient été prises, avant même qu’ils ne perturbent la stabilité financière. Pour préserver celle-ci dans un environnement macro-économique risqué quoi qu’il arrive, il convient d’effectuer des réformes radicales du secteur bancaire, comme celles qui viennent d’être esquissées.