La loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 est présentée mardi 4 avril en Conseil des ministres. Après des années de disette, le budget des Armées va monter en puissance. Si l’un des enjeux est celui de la ventilation de l’enveloppe allouée, Christian de Boissieu soulève la question cruciale de la gestion de la dépense publique.
Vu le danger et l’insécurité créés par l’invasion russe en Ukraine, il est légitime de revoir à la hausse les ambitions des pays européens en matière de défense. C’est ce que fait, pour la France, la nouvelle loi de programmation militaire (LPM). Une ambition autour de quatre axes : le renforcement de notre dissuasion ; la préparation à des conflits de « haute intensité » ; la protection de nos intérêts dans les espaces communs (exemple, entre autres, des espaces maritimes) ; le renforcement des partenariats internationaux « en Europe et au-delà ».
Pour passer de ces pistes générales à des résultats tangibles, il va falloir dégager, dans un contexte budgétaire tendu, les financements nécessaires. C’est ainsi que la LPM fixe un effort de défense pour la France de 413 milliards d’euros sur la période 2024-2030. On franchit une marche significative : la précédente LPM, sur 2019-2025, n’était au total « que » de 295 milliards ; le budget des armées (hors pensions) est de 44 milliards pour 2023, un chiffre nettement en deçà de la moyenne affichée pour 2024-2030. A la lumière des nouveaux objectifs, l’effort français de défense atteindrait 2% du PIB en 2025, la cible fixée aux pays de l’OTAN.
L’impact budgétaire de l’inflation
Tout cela est-il financièrement tenable ? L’équation budgétaire, comme toujours, va dépendre aussi de la croissance et de l’inflation sur la période 2024-2030. Qui peut prétendre prévoir avec un bon intervalle de confiance l’activité et l’inflation dans les sept ans qui viennent ? La seule certitude, c’est que la croissance effective va fluctuer autour de la croissance potentielle, et que cette dernière, fort modeste, ne pourra se relever qu’au rythme de l’adoption de certaines réformes structurelles. D’où une incertitude qui, celle-là, ne provient pas du contexte international mais de nous-mêmes ! Quant à l’inflation, qui a gonflé les recettes fiscales de 2022 (TVA…) et sans doute aussi de 2023, je privilégie le scénario d’après lequel elle va retomber à partir de cet été. Vers quel niveau ? Pour le budget, ce sera bien différent si elle revient à terme vers 4% ou 2% en rythme annuel.
Dans cet océan d’aléas, il existe une certitude : la montée à court terme des charges d’intérêt de la dette publique, avec la hausse générale des taux dans le monde et en Europe. D’où la tentation de faire porter l’effort budgétaire de la LPM sur les dernières années de la période couverte, donc sur les successeurs… Les arbitrages temporels sont encore ouverts, mais le rapport du député Christophe Plassard sur l’économie de guerre montre la nécessité de relever l’effort de défense dès maintenant, avec l’appui des industriels du secteur, sans attendre les dernières années de la nouvelle LPM.
La défense, nouveau budget pour nouvelle méthode
Un effort significativement accru pour la défense, conjugué à la montée des charges d’intérêt, implique de rogner sur d’autres dépenses publiques, si l’on veut tenir les engagements pris pour le retour à 3% de déficit public et pour la stabilisation (dans un premier temps) du ratio de dette publique. D’où l’appel de Bruno Le Maire pour une revue générale des dépenses publiques. Il serait effectivement temps d’analyser l’efficacité des différentes dépenses publiques et d’en tirer les arbitrages requis. Force est de constater que toutes les démarches amorcées dans cette direction depuis vingt ans n’ont pas débouché sur des résultats tangibles. La nécessaire conciliation de l’effort de défense et des charges de la dette publique sera-t-elle suffisante pour faire sauter un verrou bien français ? Il y faudra la rencontre d’une volonté politique et d’une méthode efficace.
L’Europe de la défense devrait aider à mutualiser certaines dépenses. Elle va se construire lentement. Difficile d’avancer à 27. Il est plus réaliste d’aller de l’avant avec ceux qui le veulent et le peuvent. Plutôt que de rechercher d’improbables consensus sur les grands principes, il vaut mieux progresser sur des projets concrets. Sous cet angle, l’amorce toute récente d’une coopération européenne en matière de cyberdéfense est une excellente nouvelle.