Choc inflationniste, choc et incertitudes sur l’activité : les problèmes de pouvoir d’achat dominent les débats sociaux dans un contexte de profits records dans certains secteurs de l’économie, et de rémunérations patronales offrant un contraste saisissant avec l’évolution des salaires corrigés de l’inflation.
L’idée sous-jacente à la proposition d’un « dividende salarié » est a priori séduisante : elle renvoie à des mécanismes permettant de moduler les rémunérations perçues en fonction de la situation des entreprises, alors que des augmentations de salaire créent des coûts fixes et peuvent mettre les entreprises en difficulté en cas de choc négatif sur l’activité. Indexé sur l’activité, le surcroît de rémunération par rapport au salaire est incertain puisqu’il dépend alors des profits. On comprend que les syndicats considèrent en général toute mesure de ce type comme une possibilité pour les entreprises de repousser ou d’éviter les hausses de salaire.
Les mécanismes de « partage de la valeur » existent déjà
La France dispose déjà de mécanismes de « partage de la valeur » qui la situent souvent en avance par rapport à ses voisins (ce qui ne dispense évidemment pas de réflexions renouvelées sur le partage de la valeur) : la participation, l’intéressement, et les primes exceptionnelles (comme la « prime de partage de la valeur », ou « prime Macron », instituée en 2019, dispositif facultatif et pérenne). Selon les données de la Dares (avril 2022), 17,5 milliards d’euros ont été versés en 2020 à un peu plus de 7 millions de salariés (sur un total de 14,6 millions), au titre de l’intéressement et de la participation, représentant en moyenne 6,4% de la masse salariale des bénéficiaires.
D’une certaine façon, il s’agit déjà de modalités qui s’apparentent à l’idée d’un « dividende salarié », mais seule une moitié des salariés français environ est concernée. En outre, ces mécanismes produisent une augmentation relativement stable des revenus des bénéficiaires dans le temps, ce qui ne semble pas vraiment correspondre à l’idée de lissage en fonction des conditions de l’activité : entre 2006 et 2020, les montants versés au-titre de la participation et de l’intéressement ont fluctué respectivement entre 6 et 8 milliards et 6 et 9,8 milliards.
Faut-il parler de « dividende » ? Ce dernier est un versement anticipé sur la valeur de l’entreprise, et ne représente pas, lorsqu’il est versé, un enrichissement : lorsque les actionnaires perçoivent un dividende, leur revenu immédiat augmente, mais leur patrimoine, qui dépend de la valeur de l’entreprise, est (théoriquement) ajusté en conséquence. L’idée de lier les salariés aux destins de l’entreprise ne correspond pas à la même idée : c’est plutôt la détention d’action qui le fait.
Le salarié actionnaire comme approche plus directe
Une approche plus directe serait donc que les salariés deviennent actionnaires. Plutôt qu’un dividende salarié, une distribution d’actions de l’entreprise serait préférable, et, au-delà, un encouragement de la détention d’actions – mais leur valeur et leur rendement sont particulièrement incertains. On peut d’ailleurs penser qu’un salarié actionnaire ne devrait pas seulement détenir des actions de son entreprise, mais constituer un portefeuille diversifié (tous les employés seraient ainsi concernés). Faire du salarié un actionnaire de son entreprise est cependant une façon efficace de l’associer aux choix stratégiques de sa société, son management et sa destinée. Cela permet aussi de dépasser l’éternel clivage entre capital et travail.
Un chantier majeur
Concernant les inégalités salariales, le sujet n’est plus le partage de la valeur ajoutée entre capital et travail, et le dividende salarié n’apporte pas de solution. Comment faire en sorte que les salaires reflètent davantage l’utilité sociale, d’une part, et la contribution effective (plutôt que marginale) des employés au succès d’une entreprise, d’autre part ? C’est un débat sur le partage de la masse salariale, et c’est bien, avec ce que recouvre le dividende salarié, l’un des chantiers majeurs à engager pour préserver la paix sociale.