L’épargne, quand elle est allouée efficacement, permet à la France de s’industrialiser rapidement, comme ce fut le cas aux XIXe et XXe siècle. C’est pour cette raison qu’il faut favoriser les placements long terme, comme l’assurance-vie, explique Jean-Hervé Lorenzi.
Il s’agit du problème majeur de l’économie française. A chaque période où des acteurs bancaires et financiers ont joué ce rôle d’allocataires efficaces de l’épargne, le développement de l’économie française fut rapide. Ce fut le cas tout au long du 2nd Empire et de la IIIème République, jusqu’à la guerre, mais aussi pendant les Trente Glorieuses où deux grands acteurs aujourd’hui disparus de leur forme initiale, Suez et Paribas, permirent à la France de se réindustrialiser. Aujourd’hui, nous avons le même souci de réindustrialisation et une difficulté évidente à allouer l’épargne au développement du système économique français, sachant qu’il s’agit de prendre en charge les risques afférents à cette réindustrialisation.
Une épargne plus risquée
Le problème est rendu difficile par un phénomène démographique très simple. 60% de l’épargne financière est entre les mains des retraités qui, par nature, sont relativement averses au risque. Il faut donc retrouver des acteurs capables de porter le risque, c’est-à-dire d’investir dans des activités qui nécessitent pour la plupart des investissements de long terme et qui supposent donc une véritable capacité de porter le risque. Ces acteurs sont facilement identifiables. Il s’agit principalement de l’Etat, qui peut garantir des prêts ou financer lui-même des investissements, mais ses ressources sont limitées. Et puis, il y a les banquiers, mais surtout les assureurs dont on sait qu’ils sont fondamentaux dans ce rôle.
Les assureurs-vie qui représentent l’essentiel de l’intervention dans le financement des entreprises ont un atout simple : la fiscalité de l’assurance a été conçue pour inciter le détenteur à conserver son contrat sur le long terme. Dans la réalité, la moyenne des contrats d’assurance-vie sont gardés douze ans, mais c’est encore bien loin du débat qui nous a agité des années : l’absence des fonds de pension considérés comme les acteurs idéaux pour prendre des risques tout simplement parce que la durée de l’épargne qui leur est confiée est beaucoup plus importante.
Les assureurs-vie ont tenté et réussi à faire évoluer les contrats en créant un nouveau produit plus souple, l’Euro-croissance, et en investissant directement à travers un outil particulièrement efficace : le Fonds Stratégique des Participations.
Une fausse bonne idée
Aujourd’hui, il est question dans une proposition sénatoriale d’autoriser complètement les transferts d’un contrat d’assurance-vie, d’une entreprise d’assurance à une autre. Chacun voit bien que cela remettrait en cause la capacité de l’assureur qui établit le contrat d’investir cette épargne à long terme dans des actifs risqués si celle-ci peut être transférée à un autre assureur, conduisant le premier à devoir vendre ses actifs à n’importe quel moment. C’est l’exemple parfait d’une logique de dysfonctionnement pour notre économie alors que l’assurance-vie est un succès.
Et puis il y a l’Etat. Rappelons-nous que l’énorme programme d’investissement nucléaire dans les années 80 fut financé par l’épargne privée avec une garantie de l’Etat. C’est d’ailleurs ce que le gouvernement a géré pendant la crise de la COVID avec beaucoup de talent en créant les PGE. Dans les prochaines années, il faudra certainement permettre un allongement des contrats d’assurance-vie et une intervention encore plus poussée de l’Etat pour garantir les investissements nécessaires à des besoins comme nous n’en avons jamais connus : la transition démographique, la décarbonation et la réindustrialisation. C’est ce défi qu’il faut affronter avec beaucoup de liberté d’esprit et de capacité d’innovation.