Lors de leur dernière et traditionnelle grande réunion annuelle de septembre à Monaco, les réassureurs ont clairement ouvert la porte à de nouvelles augmentations des primes d’assurances pour l’année prochaine. Selon Philippe Trainar, cette trajectoire est inéluctable. L’économiste explique pourquoi les contraintes qui y sont liées militent en faveur d’une liberté donnée au marché pour ajuster les tarifs.
Depuis quarante ans, les catastrophes naturelles ont tendance à croître rapidement dans le monde. Cette croissance est imputable à des facteurs économiques, comme la croissance de la population mondiale, la croissance de la richesse par tête (PIB par tête) et la concentration de la population mondiale dans les zones les plus exposées. Mais, elle est aussi imputable à l’action de l’homme et notamment au réchauffement climatique qui augmente la probabilité d’événements climatiques extrêmes, inondations – maritimes ou fluviales – et cyclones tropicaux.
Les pertes dues au changement climatique augmentent plus vite que le PIB
De fait, la croissance des pertes économiques liées aux catastrophes naturelles tend typiquement à se concentrer sur les sinistres de taille extrême. Au total, corrigée de l’inflation, ces pertes augmentent en moyenne à un rythme supérieur de 1,2 point au taux de croissance annuel du PIB, selon les estimations du réassureur SwissRe. L’Europe, et la France plus particulièrement, n’échappent pas à cette tendance même si, géographiquement, les pertes économiques les plus importantes se concentrent aux Etats-Unis, où elles ont représenté l’équivalent de 0,64% du PIB en 2022, ainsi qu’en Amérique latine et en Afrique, où elles ont représenté environ 0,3% du PIB, contre seulement 0,1% du PIB en Europe (source : SwissRe). En termes de victimes, la hiérarchie des pertes est toutefois inversée.
Les assureurs et les réassureurs ont naturellement vocation à couvrir ces pertes économiques, pour autant que les populations concernées soient bien couvertes par l’assurance. En fait, au niveau mondial, seuls 47% de ces pertes sont aujourd’hui couvertes par l’assurance (source : SwissRe). Ce taux varie fortement d’une région à l’autre. Il monte jusqu’à 58% dans les économies développées (Etats-Unis et Europe) et chute à 20% en Afrique, voire 16% en Asie. En France le taux de couverture est plus élevé en raison du caractère obligatoire de la couverture des catastrophes naturelles dans le cadre des contrats d’assurance-habitation.
Vers une hausse du tarif des couvertures
Toutefois, le secteur de l’assurance s’interroge sur la pérennité de ces couvertures au vu du coût croissant des sinistres et de la baisse de la profitabilité des couvertures, imputable à la modération des tarifs qui n’ont pas suivi le rythme de croissance des événements et de l’exposition des assurés. Certes, un changement de tendance est clairement perceptible en 2023, mais il ne sera pas suffisant pour compenser le décrochage passé et encore moins pour absorber les évolutions à venir prévues dans les projections du GIEC. L’ACPR estime ainsi qu’en France, le changement climatique impliquerait une hausse de la sinistralité liée aux catastrophes naturelles de 200 à 500 % pour les départements les plus touchés et un accroissement des primes de 130 à 200 % sur 30 ans pour couvrir ces pertes (source : avis du 13/04/2022 du Conseil Economique, Social et Environnemental).
Il est clair que, dans cette configuration, un accroissement du tarif des couvertures assurantielles des catastrophes climatiques s’impose, toutes choses égales par ailleurs, sauf à dégrader la solvabilité des compagnies d’assurance et de réassurance, et donc à dégrader leur capacité à indemniser les sinistres les plus extrêmes.
Eviter le scénario du pire
A l’inverse, une modération des tarifs ne pourrait être interprétée que comme un signal de fragilité des assureurs et donc comme une incitation pour les assurés à se fier à leur épargne personnelle, plutôt qu’à la couverture proposée par les assureurs, ou à se tourner vers l’Etat qui est lui-même confronté à des problèmes de solvabilité aigus en raison de l’explosion de la dette publique. Naturellement, la hausse des tarifs d’assurance peut elle aussi induire une baisse de la demande de couverture mais cette baisse de la demande devrait normalement être plus que compensée par la hausse de la demande liée à la perception du risque accru de catastrophes naturelles. Ajoutons que l’augmentation du PIB par tête donne une marge de manœuvre pour absorber, au moins partiellement, ces hausses de tarif.
Pour autant, on ne peut exclure un scénario pessimiste où l’ampleur de la montée prévisible des sinistres liés aux catastrophes naturelles et des tarifs des couvertures correspondantes dissuaderait les agents économiques de substituer de l’assurance plus coûteuse à leurs autres consommations.
Le rôle central de l’Etat
Un tel comportement entraînerait une baisse significative du taux de couverture des catastrophes naturelles par l’assurance et une pression accrue sur l’Etat pour que la redistribution compense la détérioration de la couverture des ménages. Des signaux, même faibles, de la part de l’Etat, montrant qu’il est disposé à entrer dans cette logique redistributive, auraient toute chance de rendre ce scénario auto-réalisateur… aux dépens de l’Etat, des contribuables et des assureurs.
Si l’on veut éviter ce scénario alternatif, et il faut absolument l’éviter car il est sous-optimal en termes de bien-être économique collectif, il faut donc laisser le marché ajuster les tarifs de ses couvertures « catastrophes naturelles » à la hausse de façon à accumuler suffisamment de capital dans l’assurance et la réassurance pour garantir leur résilience face aux événements climatiques extrêmes à venir.