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Trump, la grande rupture

La guerre commerciale est déclarée. Puisque nous n’y échapperons pas, il nous faut mobiliser toutes nos forces pour repenser entièrement notre rapport avec l’investissement et le travail, plaident Mickaël Berrebi et Jean-Hervé Lorenzi.

Ça y est, la guerre est déclarée ! Heureusement, il ne s’agit pour le moment que d’une guerre commerciale, mais elle est l’expression même des rapports entre les pays. Il nous faut décrypter et comprendre cette situation de manière extrêmement précise. Comme l’a dit un célèbre historien à propos de la Révolution française : « Il ne s’agit pas d’un événement, mais d’une époque. » Tout nous conduit donc aujourd’hui à prévoir que les négociations entre grands groupes de pays dureront longtemps.

En fait, Donald Trump est dans une stratégie assez facile à lire, peu attentive au court terme. Il est convaincu que le monde développé, les Etats-Unis en premier lieu, a décidé dans les années 2000 de transférer une grande partie de ses activités productives vers les pays émergents, et évidemment en Chine, et que son rôle consiste aujourd’hui à ramener ces activités de production, quels qu’en soient les moyens, vers les Etats-Unis. D’une certaine manière, il est dans la continuité de ce que faisait Joe Biden avec l’Inflation Reduction Act.

Rester lucides et coordonnés

Il faut donc réagir de manière parfaitement coordonnée en Europe, tout en étant lucide sur le fait que cette décision brutale et inique ne frappe pas tous les pays européens avec la même ampleur. Cela conduit aussi à souhaiter beaucoup de calme et de résolutions dans nos décisions, qui peuvent s’appuyer sur quatre points différents.

D’abord, il nous faut une réplique sur les taxes des produits importés, même si c’est là où la négociation sera la plus intense. Ensuite, à côté de ces taxes, joue de manière extrêmement fort le taux de change euro/dollar. Les positions de la Banque centrale européenne seront ainsi déterminantes, notamment pour éviter une chute brutale et importante du dollar.

Troisièmement, il y a les flux d’épargne qui permettent d’équilibrer les déficits américains. Jusqu’à il y a quelques années, la Chine jouait ce rôle mais ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, ce sont les pays à épargne excédentaire, essentiellement l’Allemagne et les Pays-Bas, qui permettent ces équilibres de la balance commerciale. Bien entendu, l’épargne relève du domaine de la décision privée mais on peut imaginer des leviers financiers qui puissent jouer sur ces flux. Enfin, les relations entre les pays européens et le reste du monde vont drastiquement changer, et cela pose la question de notre vision du Mercosur et de nos relations commerciales avec la Chine.

Mais pour trouver un nouvel équilibre acceptable entre les différentes parties du monde et éviter la récession, il nous faut aussi admettre que cette rupture de l’économie mondiale mérite des changements beaucoup plus profonds. Evidemment se pose d’abord pour nous le problème de l’investissement. Ceci concerne aussi bien le développement de la recherche que la mobilisation de l’épargne vers les activités productives.

« Les positions de la BCE seront déterminantes, notamment pour éviter une chute brutale et importante du dollar. »

JEAN HERvé Lorenzi

Tout cela doit se faire alors que nul ne peut ignorer les nombreux vents contraires auxquels nous faisons face : une société vieillissante, un ralentissement des gains de productivité, une épargne insuffisante, un endettement massif, de fortes inégalités…

Face à ce constat, c’est d’une palette d’outils tout entière dont nous avons besoin pour créer les conditions d’un sursaut technologique européen. Par exemple, engager la responsabilité de l’Etat aux côtés du secteur privé sur des projets risqués et de long terme ; imaginer un endettement mutualisé sur certains projets européens stratégiques ; repenser en profondeur notre contrat de travail pour favoriser le taux d’emploi des seniors ; pénaliser les dividendes excessifs pour soutenir les processus d’innovation et mieux rémunérer le travail ; ou encore, revoir les règles de l’héritage pour favoriser le fléchage du patrimoine vers l’investissement productif. Puisque nous n’échapperons pas à une guerre commerciale, il nous faut mobiliser toutes nos forces pour repenser entièrement notre rapport avec l’investissement et le travail !

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