Le Prix Nobel d’économie 2019 a été attribué à un trio de chercheurs, dont la Franco-américaine Esther Duflo. Hippolyte d’Albis explique pourquoi la méthode utilisée par les nobélisés, pour étudier la réduction de la pauvreté, peut s’appliquer à d’autres terrains d’investigation, dont celui de la finance.
Dans son communiqué publié lundi dernier, la Banque de Suède a motivé l’attribution de son prix à Banerjee, Duflo et Kremer par « leur approche expérimentale de la réduction de la pauvreté globale ». Les lauréats ont appliqué les essais randomisés contrôlés (ERC), méthodes traditionnellement utilisées en biologie – typiquement pour l’évaluation de l’efficacité d’un médicament – à l’économie. Le principe est assez simple : il s’agit de répartir aléatoirement une population en deux groupes similaires et d’appliquer un traitement à l’un des deux groupes et pas à l’autre. En médecine, on pourra par exemple donner une pilule contenant un principe actif à un groupe, et un placebo à un autre. Si, en moyenne, la santé de la population traitée est supérieure à celle de la population non traitée, on en conclura que le principe actif est efficace.
En ce qui concerne l’analyse économique de la pauvreté, le cas d’application le plus connu est celui de l’évaluation des effets du micro-crédit. Cette action, préconisée initialement par M. Yunus, et consistant en des prêts modiques à des personnes pauvres leur permettant de se lancer dans l’entreprenariat, a connu un extraordinaire engouement au point de devenir une stratégie de développement préconisée par de nombreux experts. Banerjee, Duflo et Kremer ont initié de très nombreuses évaluations du micro-crédit en partenariat avec des banques du développement et des associations de lutte contre la pauvreté, telles que la First Macro Banque aux Philippines et Spandana en Inde.
Comme pour un médicament, l’idée est de comparer deux groupes similaires de personnes qui ne se distinguent que du fait de leur accès au micro-crédit. Les résultats sont cruels : les personnes ayant obtenu un micro-crédit ont pu acheter davantage de biens durables que les autres, mais leurs revenus n’ont pas augmenté. En moyenne, le micro-crédit n’a pas stimulé la création de micros entreprises et n’a pas permis aux populations concernées de sortir de la pauvreté. Cet instrument s’apparente finalement à un simple crédit à la consommation pour les plus pauvres mais, en aucun cas, à un levier efficace pour sortir du sous-développement.
Désolé pour les utopistes, mais il semblerait que la finance ne va pas sauver le monde… Mais alors qu’est-ce qui fonctionne ? Les multiples contributions des lauréats suggèrent deux principes. Premièrement, il n’y a pas de recette qui fonctionne systématiquement partout et de tout temps. Deuxièmement, une approche multidimensionnelle de la pauvreté est nécessaire. Par exemple, dans leur programme destiné aux ultras pauvres d’Inde et du Bangladesh, ils insistent sur des politiques d’éducation ou de santé, ainsi que sur des aides en capital productif et des encouragements à épargner. Moralité : la finance seule ne peut rien mais, coordonnée avec d’autres actions, elle s’avère très utile dans la quête pour la prospérité.
Mais le domaine d’application des ERC ne se limite pas à la lutte contre la pauvreté. Des applications en finance ont déjà été développées. L’exemple le plus connu concerne les effets de l’éducation financière sur les comportements d’épargne. E. Saez et E. Duflo ont ainsi montré, à partir d’une expérience réalisée dans une université américaine, que les employés qui avaient été encouragés à participer à une réunion d’information sur un produit d’épargne-retraite avaient davantage souscrit au produit proposé que les employés à qui on n’avait pas parlé de la réunion. Le champ potentiel d’application de ces méthodes est immense et, pour la finance, il est probable que celles-ci deviennent un instrument d’évaluation de références.