Concept difficile à définir, l’Indopacifique s’est imposé comme un pivot pour les équilibres mondiaux, poussant les grandes chancelleries à se doter d’une stratégie pour cette zone. Quels intérêts y poursuivent-elles ? Que révèle cette multitude d’approches ? Nous en avons discuté avec Françoise Nicolas, conseillère du Centre Asie de l’Ifri.
Cet article est extrait du deuxième numéro de la revue Mermoz, « Le toit nous tombe-t-il sur la tête ? ».
De quoi l’Indopacifique est-il le nom ?
Françoise Nicolas : C’est une appellation fourre-tout mais, en réalité, tout dépend du pays à partir duquel vous envisagez cette zone. Pour les États-Unis, cette zone indopacifique est une construction géopolitique. Ils essayent de pousser leurs intérêts et ce qu’ils ont derrière la tête, c’est la rivalité avec la Chine. Pour eux, la zone indopacifique n’inclut donc pas la Chine. Si vous prenez la perspective du Japon, là, on a une perspective plus englobante et plus inclusive, où la Chine peut être envisagée. Mais la perspective japonaise mêle à la fois de la géopolitique et de l’économique, il y a un mélange des deux objectifs. Ensuite, si on regarde la position des pays qui ne sont pas à l’origine de l’Indopacifique mais qui ont été convertis, en quelque sorte, à ce concept comme la France. Dans notre cas, nous avons à la fois, des considérations géostratégiques, car la France est présente dans la région, mais aussi des intérêts économiques car l’essentiel de notre commerce venant d’Asie passe par cette région du monde. Vraiment les perspectives et les objectifs sont très différents d’un pays à un autre.
Mais pourquoi utiliser ce concept, si chacun en a sa définition ?
F.N. : La raison pour laquelle on a glissé [du concept] d’Asie-Pacifique vers l’Indopacifique, et c’est intéressant, c’est qu’on met l’accent sur le rôle de l’Inde et sur la charnière que l’Asie du Sud-Est constitue entre l’océan Indien et l’océan Pacifique. Jusqu’à présent, on avait tendance à voir ces deux espaces complètement séparés. Avec ce concept, on voit qu’ils sont vraiment liés et connectés. Comment sont-ils connectés ? f.n. Ils sont liés parce qu’économiquement les flux traversent les deux océans et car l’Inde joue aujourd’hui un rôle plus actif sur la scène internationale. Ce n’était pas tellement le cas jusqu’à récemment, où l’Inde restait en retrait […].
Pourquoi cette zone a-t-elle pris autant d’importance dans les chancelleries et dans les centres de recherche ?
F.N. : Elle a pris de l’importance dans les chancelleries puis dans les centres de recherche. La raison, c’est que le Japon, les États-Unis, l’Australie et l’Inde ont lancé ce concept. Tout le monde s’est alors demandé : mais qu’ont-ils derrière la tête ? Ensuite, des pays comme la France se sont rendu compte qu’ils avaient des intérêts dans cette région. Dans le cas de la France, nous avons des territoires partout dans cette zone, dans l’océan Indien et dans l’océan Pacifique. On s’est alors dit que l’Indopacifique avait un vrai sens pour nous […]. La raison pour laquelle je trouve qu’il y un intérêt à cette appellation d’Indopacifique, c’est que tout le commerce y passe […]. Si on regarde l’activité économique stricte, c’est plutôt l’Asie-Pacifique qui a un sens. Si on prend une perspective plus dynamique, qui met l’accent sur le commerce, l’Indopacifique a un vrai sens.
De la mer Rouge au canal de Panama ?
F.N. : Dans la version américaine, on est davantage « from Hollywood to Bollywood », de l’Inde jusqu’au continent américain alors que pour nous européens, c’est plutôt l’océan Pacifique – côté asiatique – puis l’océan Indien jusqu’au Canal de Suez.
L’Indopacifique est traversée par des tensions entre grandes puissances. Cette zone est-elle une poudrière ou peut-on y voir une zone de stabilité ou d’équilibre entre les puissances ?
F.N. : C’est plutôt une poudrière, une zone d’instabilité. C’est là qu’on trouve les plus gros points de tension au monde. On parle beaucoup de la péninsule coréenne, au nord de cette région – et un peu à sa marge. Après il y a le détroit de Taïwan, qui est très, très, important. Nous verrons après les élections [américaines] si les relations se tendent dans ce détroit ou pas. Et puis, il y a aussi toutes les tensions qui existent dans le détroit de Malacca, en mer de Chine méridionale et maintenant aux confins [de la zone], entre la mer Rouge et l’océan Indien. Il y a donc à la fois des points de tension et des nœuds stratégiques, c’est-à-dire des passages resserrés. Les détroits peuvent eux aussi être des zones de tension car ils sont contrôlables et blocables relativement facilement.