Face au trois transitions – démographique, énergétique et numérique -, seul un marché unique des capitaux européen permettrait d’atteindre les objectifs de financement, soutien Jean-Hervé Lorenzi.
Souvenez-vous de cette citation de Camus dans Le Mythe de Sisyphe, « C’est qu’en vérité le chemin importe peu, la volonté d’arriver suffit à tout. »
La vie gouvernementale est un éternel recommencement. Chacun sait que l’on a quatre montagnes à gravir pour l’avenir de notre pays, le système éducatif, le système de santé, la dette et la réindustrialisation. Tout gouvernement affirme dans les toutes premières minutes de son arrivée que ces dossiers vont être traités en priorité avec l’énergie et les moyens qui permettront d’obtenir des résultats. Derrière ce discours obligé manque l’objectif, à savoir réussir ce défi inimaginable de réussir trois transitions simultanées, dont on va voir que chacune d’entre elles suppose des approches totalement disruptives.
Les transitions
Réussir l’une d’entre elles serait déjà un succès. La convergence des trois suppose une intelligence des situations exceptionnelle. Les trois transitions c’est tout d’abord la démographie c’est-à-dire les retraites et la dépendance. La transition énergétique, elle, suppose une transformation radicale des modes de consommation et de production fondés sur la décarbonation et la sobriété. Quant à la transition numérique, elle recouvre la recherche, les coopérations européennes et la formation des milliers d’ingénieurs et techniciens. Si on réussissait ces trois transitions, l’objectif du plein emploi serait vraisemblablement atteint et nos déséquilibres majeurs en matière de commerce extérieur et de déficit budgétaires seraient largement réduits. Cela suppose d’après nos calculs d’avoir un taux d’investissement de 24% du PIB, soit 2 points de plus qu’aujourd’hui, afin de retrouver une croissance moyenne, proche de celle de la France entre 1994 et 2008.
Mais dire que cela est possible ne signifie en rien penser que c’est facile. Le premier sujet est de construire à nouveau un affectio societatis entre les Français et le travail. Beaucoup d’entre nous, surtout les moins qualifiés, ont le sentiment d’avoir un travail mal considéré, mal payé et dont ils ne peuvent en aucun cas s’extraire. La véritable révolution consiste à donner une vraie possibilité de progression tout au long de la vie et à modifier profondément des systèmes hiérarchiques qui fossilisent notre environnement de travail. On le voit, on touche autant au qualitatif qu’au quantitatif, car il n’y a pas de grande flemme en France mais le manque d’une organisation du travail plus épanouissante.
L’épargne française
Le problème du financement des investissements est tout aussi important. L’épargne française n’est pas suffisamment dédiée au financement de l’économie française. Cela s’est très largement renforcé avec le vieillissement de la population, sachant qu’une très large partie de l’épargne financière des Français est détenue par les retraités, statistiquement averses au risque.
Si l’on veut donc financer ces trois transitions qui chacune, à terme rapproché, représente un montant annuel entre 50 et 100 milliards d’euros, il faut à la fois se battre pour qu’un véritable marché des capitaux en Europe existe enfin, et surtout mobiliser notre épargne. Ce dernier objectif ne sera atteint que si un certain nombre d’investissements à vocation longue et rentabilité incertaine sont pour partie garantis. Rappelons-le, le financement de l’énorme programme nucléaire d’il y a quarante ans fut financé par de l’épargne privée garantie. Toute cela conduit à centrer le discours politique sur deux logiques disruptives, l’une sur le travail, l’autre sur l’utilisation de l’épargne.