Avec l’arrivée de Donald Trump au pouvoir aux Etats-Unis, qu’attendre de l’évolution du billet vert ? Selon Jean-Paul Pollin, l’actuelle attractivité de la devise américaine pourrait être limitée dans le temps
Depuis la fin septembre 2024 la valeur du dollar a gagné 9% par rapport à un panier de devises (l’indice DXY composé par la Fed). Il a aussi progressé respectivement de 8 et de 9% par rapport à l’euro et à la livre sterling. Une telle évolution n’a rien d’exceptionnel, mais nombre d’analystes pensent qu’elle pourrait se prolonger dans les mois qui viennent et cela pourrait avoir bien des conséquences. Pour juger de ce point de vue il faut d’abord identifier les facteurs à la base du rebond observé, avant de s’interroger sur leur devenir à court/moyen terme.
La monnaie d’un « nouvel âge d’or » ?
Manifestement le rebond du dollar au cours de ces derniers mois reflète les prévisions, suivies du résultat, de l’élection présidentielle. Le marché a affiché sa confiance dans le programme du candidat élu. Plus précisément il a marqué son approbation pour la protection de certains secteurs sensibles par la taxation des importations (surtout en provenance de Chine) ; pour la consolidation de monopoles dans d’autres secteurs stratégiques ; pour la limitation des réglementations environnementales ou prudentielles dans d’autres encore… Tout cela a été interprété comme un ensemble de dispositions capables de renforcer l’économie américaine de réduire ses dettes et déficits extérieurs, donc de conforter la position dominante de sa monnaie.
A cela s’ajoute le fait que les taux d’intérêt US sont sensiblement plus élevés que ceux des autres pays avancés, à l’exception notable du Royaume Uni : les taux à dix ans sont supérieurs de plus de 100 pb à ceux des pays européens. Ce qui s’explique par le fait que l’inflation, alimentée par une conjoncture robuste et des tensions sur les marchés du travail, n’est pas encore revenue à l’objectif de la Fed : la dernière statistique sur l’inflation sous-jacente la situe à 3,2 %. A court terme cette situation améliore l’attractivité du dollar.
Au-delà des promesses
Mais il n’est pas sûr que la foi en ce scénario fantasmé soit bien durable. Divers observateurs ont déjà fait valoir que la forte augmentation de la taxation des importations aura fatalement un impact inflationniste, quand bien même serait-elle compensée par une baisse des impôts sur les entreprises dont on ne sait pas comment elle sera financée. Le renvoi de travailleurs immigrés devrait avoir un effet semblable. Dès lors, s’il est vrai que la hausse des prix a joué un rôle majeur dans la défaite des démocrates, la victoire des républicains risque d’être source de grandes déceptions. C’est peut-être pourquoi de récentes déclarations, provenant de l’équipe prête à prendre le pouvoir, ont laissé entendre que l’accroissement des taxes à l’importation se ferait de façon progressive, donc loin dans un premier temps des taux stratosphériques qui ont été précédemment annoncés.
Dans ces conditions la Fed devrait maintenir ou durcir sa politique restrictive, affectant négativement les investissements et notamment dans l’immobilier qui se relève difficilement d’années de crises avec des taux hypothécaires encore en hausse (autour de 7% pour le 30ans à taux fixe). Le futur secrétaire d’Etat au Trésor vient de dissiper les craintes que l’on pouvait avoir sur la remise en cause de l’indépendance de la banque centrale pour la contraindre à assouplir sa politique. Mais sa compatibilité avec les autres aspects de la nouvelle politique économique reste posée.
Enfin et surtout, la concrétisation du protectionnisme Trumpiste devrait avoir un effet négatif sensible sur l’économie de nombreux pays : la Chine mais aussi les « alliés » européens. Cela viendra du fait des recompositions du commerce mondial et de ses règles, mais aussi parce que pour les pays importateurs de matières premières (d’énergies en particulier) une poursuite de la hausse du dollar aurait un effet inflationniste et dépressif, dans la mesure où les prix de ces biens sont libellés dans cette devise. Il est bien clair que pour Donald Trump il s’agit là d’un phénomène qui n’entre pas dans le champ de ses préoccupations. Mais cela pourrait peut-être conduire les pays concernés à remiser leurs dissensions et leur immobilisme pour répliquer aux « singularités » de la nouvelle politique américaine. Cela changerait pas mal de choses, notamment la trajectoire à venir du dollar, aujourd’hui bien difficile à deviner.