Si la Grande-Bretagne n’a jamais vraiment réussi son entrée dans le projet européen, il est néanmoins impératif, pour elle et pour l’Europe, qu’elle réussisse sa sortie, écrit Hippolyte d’Albis.
La classe politique britannique offre depuis quelques mois un spectacle inédit qui tout à la fois fascine, lasse et terrifie. Il serait néanmoins un peu rapide d’en conclure que les acteurs ne sont que des bouffons et que, si la Grande-Bretagne en est là où elle est, c’est bien la faute de ses dirigeants.
Au contraire, ce qui se joue n’est en rien une parodie de démocratie et face à un choix difficile et une population divisée, les opinions s’expriment et sont discutées. Bien malin celui qui saurait arbitrer entre les deux alternatives actuelles. Et le lecteur de cette chronique peut se demander, imaginant un instant qu’il est Anglais, s’il préférerait quitter l’Union en perdant le bénéfice de tous les accords économiques et commerciaux négociés préalablement, ou en acceptant de se retrouver dans une situation similaire à celle de la Norvège, sans la maîtrise de sa politique économique étrangère.
La question irlandaise n’aide pas à simplifier ce dilemme de diplomatie économique, mais ne devrait pas non plus le transformer en un drame politique tant que les Irlandais pourront s’installer librement en Grande-Bretagne. Or cela a toujours été garanti par Londres, même dans les versions les plus dures des modalités relatives à la circulation des citoyens européens.
Des torts partagés
Certes, on pourra toujours dire qu’il aurait fallu y penser avant de voter. Ce serait néanmoins un peu facile et ce serait oublier que, dans un divorce, les torts ne sont jamais d’un seul côté et que celui qui s’en va n’est pas toujours le seul fautif. Force est de constater que, depuis son adhésion à la Communauté économique européenne en 1973, la Grande-Bretagne n’a jamais vraiment réussi à trouver sa place dans un ensemble fortement polarisé autour du couple franco-allemand.
Ses positions plus libérales et moins enclines au transfert de souveraineté ont systématiquement été accusées de « torpiller » le projet européen. Et face aux tenants d’une intégration économique toujours plus poussée, la Grande-Bretagne s’est progressivement isolée, au point de ne pas participer à la monnaie unique. Loin d’être une hystérie conjoncturelle, le Brexit relève plus d’un long rendez-vous manqué.
Même si la Grande-Bretagne était moins intégrée économiquement à l’Union, les coûts financiers et sociaux de la séparation n’en resteront pas moins considérables pour le pays, qui part et pour ceux qui restent. Et certains à Washington, Moscou ou Pékin se félicitent déjà de cette folie qui a pris ce géant économique, produisant un quart du PIB mondial mais qui se coupe un bras en se privant notamment de son principal centre financier.
Construction européenne
Au-delà des coûts, si la sortie se fait sans accord, c’est l’idée même sur laquelle repose la construction européenne qui sera ébranlée. Inlassablement, ses promoteurs ont répété que la mise en commun des intérêts économiques était une formidable arme pour préserver la paix et la stabilité entre les pays.
Et qu’une fois devenus « partenaires », leurs oppositions historiques s’évanouiraient. L’arme se retourne aujourd’hui brandie par des populistes qui gagnent facilement les suffrages en dénonçant ces accords internationaux, qui, selon eux, appauvrissent et asservissent les peuples.
Si la Grande-Bretagne n’a jamais vraiment réussi son entrée dans le projet européen, il est néanmoins impératif, pour elle et pour l’Europe, qu’elle réussisse sa sortie. Si cela doit passer par un assouplissement de la position des Vingt-Sept, il ne faut pas hésiter.