Le Congrès américain vient de déclencher le chronomètre pour étudier l’accord conclu le week-end dernier entre le président démocrate, Joe Biden, et le dirigeant républicain, Kevin McCarthy, sur le plafond de la dette de l’Etat fédéral. Un feu vert éviterait un défaut de paiement des Etats-Unis et ses conséquences sur l’économie mondiale. Christian de Boissieu explique pourquoi, malgré la situation tendue, le pire ne devrait pas se produire.
La finance mondiale tout à la fois craint et adore ces psychodrames que lui réservent les discussions périodiques sur le relèvement du plafond de la dette fédérale aux Etats-Unis. C’est encore vrai cette fois-ci.
C’est au forceps qu’un projet d’accord a été signé samedi 28 mai, prévoyant de faire passer ce plafond de 31.400 à 35.400 milliards de dollars, ce qui donnerait du répit pour environ deux ans. Encore faut-il qu’il soit avalisé par le Congrès, en principe mercredi 31 mai. La gauche du Parti démocrate, qui défend le plus large accès aux programmes sociaux, et la droite trumpiste des républicains, qui veut aller plus loin dans la réduction des dépenses, pourraient encore poser des problèmes. La date limite a été repoussée jusqu’au 5 juin (au lieu du 1er), et on arrêtera, j’imagine, les pendules s’il le faut comme lors des négociations européennes, mais on arrivera à un accord au Congrès. Car le défaut des Etats-Unis serait perdant pour tous : les Américains, les marchés financiers, l’économie mondiale.
Entre dépenses et impôts, quel levier activer ?
Le contexte économique et géopolitique du bras de fer actuel entre les deux grands partis au Congrès n’est guère favorable. Certes, l’économie américaine est encore au plein emploi. Mais l’inflation reste préoccupante, le spectre d’une récession au deuxième semestre demeure, la situation de nombreuses banques régionales continue à inquiéter, et les dernières minutes du Comité de la Fed montrent la vigueur du débat sur le resserrement monétaire. Est-ce que la banque centrale doit encore relever ses taux directeurs ? Le Trésor est bien sûr le premier concerné par la question, vu la montée des charges d’intérêt sur la dette publique aux Etats-Unis comme ailleurs. Des charges qui ont grimpé de 50% sur le seul exercice fiscal 2022. En cas de défaut, le Trésor devrait en priorité faire face aux règlements de sa dette.
A l’occasion de la discussion actuelle, on retrouve l’opposition classique entre ceux qui veulent réduire les dépenses publiques (les républicains) et ceux qui voudraient augmenter les impôts (les démocrates). Un débat qui n’est pas qu’américain, et qui sera probablement au cœur de la campagne présidentielle de 2024.
Une situation à relativiser
Un peu de recul permet pourtant de relativiser cette querelle sur le plafond de la dette. Le déficit budgétaire fédéral a sensiblement baissé de 2021 à 2022 (l’année fiscale va du 1er octobre à fin septembre de l’année d’après), divisé par deux en dollars pour revenir à 5,2% du PIB en 2022. Grâce à la reprise, au plein emploi, à l’inflation qui gonfle les rentrées fiscales, grâce aussi à certaines mesures budgétaires de l’administration Biden. La trajectoire demeure cependant préoccupante, car ce déficit devrait croître à 5,8% en 2023 et 6% en 2024. La dette fédérale était de 97% du PIB en 2022, en léger recul par rapport à 2021.
Une situation qui paraît malgré tout soutenable au regard de différents critères. D’abord, malgré le ralentissement de l’activité et le resserrement monétaire, le taux de croissance demeure supérieur aux taux d’intérêt réels (hors inflation) pour une bonne part des échéances. Ensuite, les Etats-Unis représentent un débiteur unique, vu les privilèges persistants du dollar. Ces privilèges, comme le dénonçait déjà Jacques Rueff, leur permettent de financer leurs déficits et leurs dettes dans leur monnaie, dont ils régulent l’offre via la Fed. Les avantages du dollar font que la problématique de la soutenabilité de la dette publique américaine, en bonne part financée par les Chinois, les Japonais et autres créanciers étrangers, donc mue en dette extérieure, est fondamentalement différente de la problématique de l’endettement des autres pays. On peut contester la suprématie du dollar et les asymétries qui en découlent. On peut adopter des mesures structurelles pour réduire de telles asymétries, et c’est ce que nous faisons, lentement mais sûrement, avec l’euro. Mais les faits sont têtus, et les hiérarchies fondées sur la puissance et les habitudes difficiles à bousculer.
Alors, Fitch peut bien mettre la signature américaine sous surveillance négative, les marchés financiers peuvent continuer à se faire peur. Une certitude : un accord sur le plafond de la dette sera cette fois-ci encore finalisé. Une autre certitude : la planète finance continuera, quoi qu’il arrive, à tourner et la signature des Etats-Unis restera recherchée tant par les Américains que par les investisseurs étrangers.