La perspective des élections européennes du 9 juin replace sur le devant de la scène les lourds enjeux financiers auxquels est confrontée l’Europe. Pour Jean-Paul Betbeze, ces enjeux politiques, écologiques et technologiques imposent un nécessaire pragmatisme économique et budgétaire
Un seul mot dit tout : transition ou transitions, pour cacher les difficultés qui sont devant nous, et leurs coûts. Transition verte, pour ne pas dire : dérèglements climatiques et réduction du CO2, avec l’arrêt des voitures à essence, la refonte des villes, la rénovation des logements, des usines et des bureaux. Vient ensuite la transition démographique, pour éviter de parler de vieillissement, de santé et de financement des retraites. Suit la transition digitale, pour traiter de l’IA, de la formation aux emplois nouveaux ou renouvelés. C’est enfin le tour de la transition géopolitique pour ne pas parler de guerre, d’investissements en recherche et en nouveaux armements. On l’aura compris, l’Europe a besoin d’argent, de beaucoup d’argent, pour continuer à peser dans le monde qui vient.
On nous dira que ce n’est pas nouveau, mais cette addition de transitions est aujourd’hui énorme. En effet, face à cette accumulation de besoins nouveaux, avec leurs traductions monétaires, les États sont tous en difficulté, qu’ils l’admettent ou non. Les voilà tous en concurrence, frugaux ou pas, pour survivre. Aucun ne peut prétendre être en excédent budgétaire, car aucune de ces « transitions » n’est évaluée, donc provisionnée.
Les calculs européens montrent leur passéisme dans leur obsession d’un déficit public qui dépasserait 3% du PIB. Par bonheur si l’on peut dire, au troisième trimestre de 2023, il s’établissait à 2,8% pour l’Union européenne comme pour la zone euro, soit une légère baisse de 0,2 point par rapport au second trimestre de 2023 pour les deux. N’empêche, la majeure partie des pays européens présente des déficits publics supérieurs à 5% du PIB : Italie, France, Slovaquie, Bulgarie, Hongrie, Pologne. Seulement huit États de l’Union européenne affichaient un excédent public, notamment Danemark, Chypre, Portugal et Croatie. Mais qu’il s’agisse de déficits ou même d’excédents, ils passent à côté de nos inévitables factures.
Toujours en retard, de nouvelles règles budgétaires européennes vont entrer en vigueur. La France fera donc l’objet d’une procédure pour déficit excessif le 19 juin à Bruxelles, comme une dizaine d’autres pays. Pourquoi donc pas pour tous ? Quand allons-nous cesser d’oublier les révolutions politiques, écologiques, technologiques et sociales qui sont à l’œuvre et sous-estimer les investissements, réformes et formations indispensables, sans voir les investissements perdus (échoués) dans nos entreprises ? Autrement dit : les pertes ? Pendant combien de temps allons-nous regarder l’inflation à 2%, pour freiner les hausses des salariés les plus qualifiés ? Ou nous opposer aux fusions européennes, dans l’industrie ou la finance, sous prétexte de leur trop grande part d’un marché… national ? C’est par rapport au monde, entre États-Unis et Chine, que nous devons nous comparer. Augmenter la productivité dont parlera le rapport Draghi, renforcer l’Union d’épargne et d’investissement dont parle le rapport Letta sont nos obligations.
Cessons de critiquer les profits et les dividendes de certaines entreprises : ils sont insuffisants ! Il nous faut un capitalisme plus rentable, avec moins de multinationales qui le soient vraiment, moins d’entreprises de taille dite « intermédiaire », mais plus grandes, des gestionnaires d’actifs de taille américaine… Moins d’impôt aussi, sans craindre une dégradation des agences de rating dont l’approche marque le changement d’ère que nous vivons. Plus d’un emprunt européen, dont le grand avantage est de ne pas peser sur les comptes nationaux – sans que Moody’s s’en émeuve. Et si tout ceci ne suffit pas, il nous faudra un emprunt européen spécial pour alimenter un Fonds souverain européen, au choix obligataire et rémunéré à 3% par exemple ou achetant des actions, les deux sans impôt. C’est l’évidence : nous savons de moins en moins ce qu’il nous faudra payer pour que l’Europe reste une puissance mondiale, et donc nous préparer à la financer. C’est pourtant vital.