Les Etats-Unis et la Chine sont lancés dans un combat pour la domination mondiale depuis une dizaine d’années, un combat qui s’est durci depuis trois ans avec l’affirmation de la volonté chinoise de passer devant l’Amérique. Trump a lancé la contre-offensive avec la guerre commerciale sino-américaine qui a effectivement commencé le 6 juillet 2018. Aujourd’hui l’essentiel de leur commerce est taxé.
Cette rivalité stratégique est doublée d’une rivalité dans la nouvelle Révolution industrielle de l’informatique et des plateformes numériques. Face aux Gafam s’imposent les BATHX : Baidu, Alibaba, Tencent, Huawei et Xiaomi. Les Chinois ont bloqué Google ou Facebook pour des raisons politiques, permettant l’essor de Baidu et Tencent. Alibaba excelle face à Amazon tout en s’affirmant comme un acteur financier de rang mondial. Les Gafam et les BATHX s’affrontent dans le monde, en Asie et en Afrique, mais aussi et surtout en Europe.
C’est donc d’un double affrontement qu’il s’agit : stratégique et militaire, mais aussi économique et numérique. Ils s’exacerbent mutuellement. Quand les Etats-Unis cognent sur Huawei, quel que soit le prétexte, il s’agit de gêner cet acteur, gonflé aux subventions publiques, qui a l’audace de prendre de l’avance dans la 5G.
Dans ce double affrontement, l’Europe est deux fois absente. 1- Stratégiquement, sans vision commune et sans politique solide face à ces deux géants. Les Allemands aiment obéir aux Américains, comme l’a rappelé récemment la ministre allemande de la défense, tout en ménageant la Chine : un si gros marché. La France, désindustrialisée et percluse de dettes, papillonne. 2- Mais aussi, économiquement. Il n’y a pas plus de Gafam allemands que français. Et il n’y en a aucun en Europe.
‘Protégée’ par l’Amérique depuis 75 ans, l’Europe se pense à l’écart du choc sino-américain. Des Etats-Unis qui ont pris soin pendant ces trois quarts de siècle d’empêcher l’émergence de tout ce qui pourrait ressembler à des Etats-Unis d’Europe. Une zone euro, qui devait être une zone de convergence des performances économiques et qui accumule les divergences péniblement cachées par l’heureuse action de la BCE.
Non seulement l’Europe n’est pas protégée mais elle est le lieu où les géants déploient leurs armées numériques et déroulent la soie de leurs routes où circulent leurs ambitions. La Grèce, mère de l’Europe, leur a livré son premier port. L’Europe centrale sourit à la Chine tout en se revendiquant américaine. Le Royaume-Uni prend le large dans une confusion suprême.
Penser, dans ce contexte, que Biden, s’il est confirmé, va renverser la table et centrer sa politique étrangère sur des déclarations d’amour à l’Europe est ’amusant’. Certes, déclarations il y aura, mais platoniques et non suivies d’effets. L’Amérique continuera de faire son marché en Europe, notamment en Allemagne avec laquelle la réconciliation sera spectaculaire et massivement mise en scène de part et d’autre. On célébrera Paris, dans une courte étape, vraisemblablement à vélo. C’est si romantique.
Après le départ anglais, l’Europe aurait pu enclencher une nouvelle phase de sa construction en jetant les bases d’une politique stratégique, scientifique et économique ambitieuse, en s’appuyant sur un noyau dur d’une dizaine de pays s’accordant sur une politique déterminée afin d’écarter doucement l’étau sino-américain. Mais les principales décisions, y compris le plan européen de relance, sont précautionneuses.
Biden ne sauvera pas l’Europe. Il lui fera plaisir en lui disant les mots qu’elle veut tant entendre.