Les recommandations du rapport Draghi sont nombreuses, presque trop, souligne Christian de Boissieu. Une sorte de liste à la Prévert. Certaines méritent plus d’attention.
Le diagnostic du rapport Draghi est implacable et convaincant. A l’aune des indicateurs pertinents (croissance, investissement, innovation, emploi, productivité…), l’Europe décroche vis-à-vis des Etats-Unis mais aussi de la Chine. Au fil de l’eau, elle est menacée de déclassement et de marginalisation.
Le rapport appelle à un sursaut politique des Européens. Car sont en jeu à la fois l’avenir du marché unique, notre capacité à traiter de réindustrialisation et de souveraineté, notre aptitude à améliorer la gouvernance de l’Union européenne et de l’euro…
Les recommandations sont nombreuses, presque trop. Une sorte de liste à la Prévert. Certaines méritent plus d’attention.
Dilemme absurde
Modifier la politique européenne de la concurrence ? On en parle depuis des lustres. La Commission européenne, partant d’une définition trop étroite de l’aire de marché « pertinente », a souvent privilégié la protection des consommateurs sur la compétitivité des entreprises, refusant nombre de fusions qui auraient donné aux firmes européennes la taille critique face aux géants américains, japonais, chinois…
Dilemme absurde, car les consommateurs peuvent profiter de la compétitivité améliorée des firmes. Pas besoin ici de modifier les traités, ce qui serait risqué. Il suffit de faire évoluer de façon pragmatique la jurisprudence des autorités en charge.
Relancer l’union des marchés de capitaux (UMC) ? En fait, la lancer : rien de significatif n’est intervenu depuis le plan d’action de 2015, un texte publié avant le référendum du Brexit. On pensait faire l’UMC avec Londres. Il faut la mettre en oeuvre sans, et même contre, la City.
Les chantiers prioritaires de l’UMC sont identifiés : lutte contre la fragmentation des marchés financiers, relance de la titrisation, incitations pour attirer les PME en Bourse, rapprochement des Codes de commerce nationaux, extension des compétences du régulateur financier européen… En espérant – on peut rêver ! – un zeste de coopération entre Euronext et la Bourse de Francfort. Les défis, ici, ne sont pas techniques, mais bien politiques.
« La référence à un nouvel emprunt commun dans le contexte compliqué actuel montre que l’Europe n’a toujours pas trouvé la bonne parade aux subventions budgétaires déversées par l’IRA dans l’économie américaine.«
Lancer une nouvelle mutualisation des dettes publiques ? On en comprend les raisons. Dans nombre de pays membres, dont la France, le niveau des déficits et de la dette publique est tel que les budgets vont avoir du mal à couvrir à la fois les charges d’intérêt, la transition écologique, la défense, la santé, l’éducation, etc.
La tentation est grande de desserrer la contrainte financière en la déplaçant pour partie à l’échelle européenne. Les montants avancés par le rapport sont à la fois impressionnants mais aussi possibles, vu l’épargne privée accumulée face au Covid et aux chocs géopolitiques.
L’Europe n’a pas trouvé la parade
Cependant, cette proposition est fragile. La divergence des situations budgétaires nationales ne va pas inciter les « bons élèves » à jouer le jeu. En outre, le premier emprunt commun, celui de 750 milliards d’euros en 2020, n’a été à ce jour consommé qu’au tiers. Lourdeurs bureaucratiques, manque de projets rentables… Achevons la première phase avant d’en lancer une deuxième.
Nombre des propositions du rapport Draghi sont à mettre en oeuvre rapidement. Mais la référence à un nouvel emprunt commun dans le contexte compliqué actuel montre que l’Europe n’a toujours pas trouvé la bonne parade aux subventions budgétaires déversées par l’Inflation Reduction Act dans l’économie américaine.