Pour réussir la future union monétaire de la Cedeao, les Etats africains concernés ont tout intérêt à apprendre de l’expérience européenne, écrit Agnès Bénassy-Quéré. Notamment en n’oubliant pas que la convergence structurelle des économies est un préalable important à toute union monétaire.
Il y a vingt ans à Accra (Ghana), les chefs d’Etats de six pays d’Afrique de l’Ouest (Gambie, Ghana, Guinée, Liberia, Nigeria et Sierra Leone) annonçaient la création trois ans plus tard d’une seconde union monétaire à côté de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). En 2002, un Institut monétaire d’Afrique de l’Ouest (Imao) était mis en place à Accra pour gérer cet ambitieux projet, l’objectif ultime étant la fusion des deux unions monétaires, afin de faire coïncider les frontières monétaires avec celles de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao). En 2003, le nom de la future monnaie était adopté – l’eco – mais la date de l’union monétaire était repoussée en raison d’une convergence insuffisante des économies concernées. Le projet fut ensuite périodiquement reporté.
Contrôler l’inflation
Fidèle lectrice de la lettre d’information de l’Imao, j’avais fini par me désintéresser de la question lorsque cette publication avait cessé, reflétant les faibles progrès réalisés sur le terrain. On mesure ma surprise lorsque j’entendis les présidents Macron et Ouattara annoncer, le 21 décembre dernier à Abidjan, la fin du franc CFA et son remplacement par une nouvelle monnaie nommée… eco.
Bâtir l’union monétaire de la Cedeao à partir de l’UEMOA, qui est déjà une union monétaire, est une décision de bon sens. Une étape importante sera de progressivement désengager la France et détacher la monnaie commune de son ancrage à l’euro tout en contrôlant l’inflation et en évitant les dépréciations en chaîne. C’est moins difficile aujourd’hui qu’hier, l’inflation étant faible un peu partout dans le monde. Ajouter d’autres pays volontaires d’Afrique de l’Ouest à cet ensemble sera alors faisable… à condition non seulement que les taux d’inflation convergent, mais aussi que les nouveaux membres restent de taille modeste.
Fonds de stabilisation
On le sait depuis le début, l’inclusion du Nigeria dans une grande union monétaire ouest-africaine pose deux grands problèmes. Le premier est la taille relative de ce pays qui représente 65 % de l’économie de la Cedeao. Pour mémoire, le PIB allemand ne pèse que 25 % dans la zone euro. Le second problème est que le pétrole représente 94 % des exportations nigérianes. La conjonction de la taille et de la spécialisation pétrolière du pays sont potentiellement mortifères pour la future union monétaire. En cas de hausse du prix du pétrole, la consommation des revenus pétroliers pourrait engendrer de l’inflation. La banque centrale unique réagirait en augmentant les taux d’intérêt dans toute la Cedeao, y compris, par exemple, au Bénin, pays exportateur de coton.
Pour surmonter ces difficultés , il faudrait mettre en place dans chaque pays un fonds de stabilisation assorti de règles strictes pour lisser l’effet des fluctuations des prix des matières premières : épargner les recettes supplémentaires en période de boom pour les distribuer en période de chute des cours. En quelque sorte, il faudrait éviter de reproduire (en pire) les erreurs de l’Union monétaire européenne : mettre en place des politiques budgétaires fortement stabilisatrices pour compenser la mise en commun de la politique monétaire.
L’expérience européenne montre que la convergence structurelle des économies est un préalable important à l’union monétaire. Mieux vaudra ne pas trop se précipiter : éprouver d’abord le fonctionnement nouveau de l’UEMOA, tester les institutions monétaires et budgétaires, renforcer l’intégration régionale avant d’élargir la zone.