Alors que les tensions s’exacerbent sur la planète, l’avenir du commerce international semble incertain, partagé entre deux visions qui s’opposent, la « fragmentation » et la « remondialisation », que nous présente André Cartapanis.
Dans le dernier « Rapport sur le commerce mondial en 2023 », publié en septembre dernier par l’OMC, deux visions de l’avenir s’opposent. D’un côté, la « fragmentation » de l’économie mondialeconduit à l’abandon des approches coopératives, à la mise en retrait des institutions multilatérales, à l’apparition de blocs géopolitiques ou régionaux menant des politiques protectionnistes, au raccourcissement des chaînes de valeur… D’un autre côté, la « remondialisation » recouvre une sorte de rebond des processus d’intégration internationale, couplés à des coopérations internationales renforcées, en matière commerciale et dans le domaine des politiques de décarbonation et de croissance plus inclusive.
Le scénario privilégié de la « remondisalisation »
L’OMC plaide évidemment en faveur du second scénario. La « fragmentation » serait synonyme d’abandon des efficiences accrues qu’apporte la spécialisation internationale et s’apparenterait à un leurre quant à l’indépendance stratégique des économies nationales, et même quant à la stabilité du système politique mondial. Quant à la « remondialisation », elle est présentée comme la réponse la plus efficace aux défis qui se posent à l’économie mondiale aujourd’hui, la sécurité nationale et la paix, la lutte contre la pauvreté et le chômage, l’accès à des ressources rares et la soutenabilité environnementale de la croissance. Mais ce n’est rien d’autre qu’une projection dans l’avenir de l’hyperglobalisation des années 1980-2008, teintée cependant de nouvelles règles susceptibles d’être mises en œuvre par des institutions internationales dont la gouvernance et les compétences seraient modernisées dans un nouveau cadre multilatéral…
Il y a là deux lectures de l’avenir qui recouvrent le débat théorique classique, depuis au moins deux siècles, entre libre-échange et protectionnisme, mais aussi les soubresauts de l’histoire économique, avec la succession des cycles de mondialisation puis de replis nationaux depuis la première globalisation de la fin du XIXe siècle. Les enjeux de puissance ou de géopolitique ont souvent remplacé la rationalité économique dans les bifurcations observées. Le tumulte des affrontements en Ukraine et, à nouveau, au Moyen-Orient, ou les conflits commerciaux (et géopolitiques) entre la Chine et les Etats-Unis laissent penser que rien ne changera en la matière.
Le commerce international résiste mais se recompose
Aujourd’hui les incertitudes sont abyssales et il est impossible de trancher en faveur de l’un ou l’autre des deux scénarios, dans cette opposition entre « fragmentation » et « remondialisation ». Relevons simplement quelques observations empiriques. On observe en 2023 un ralentissement, une sorte de palier, s’agissant du commerce mondial, mais loin d’un effondrement malgré les tensions géopolitiques. Et l’OMC prévoit un rebond des échanges en 2024, autour de + 3,3%.
Certains signes de fragmentation se manifestent toutefois avec une légère diminution de la part des produits intermédiaires dans le commerce de marchandises et la croissance plus faible du commerce entre « blocs géopolitiques » (repérés à partir des votes à l’assemblées générale des Nations Unies) plutôt qu’au sein de ces blocs. Mais ces deux types de commerce progressent. Les échanges bilatéraux entre la Chine et les Etats-Unis continuent de croître malgré la guerre commerciale et technologique. Et le commerce international des services poursuit sa forte progression, plus forte que pour les biens, tout particulièrement dans le cas des services par voie numérique. Il en est de même dans le domaine des échanges technologiques.
Au-delà des idées reçues, on ne saurait parler dans les faits de démondialisation. Mais nul ne peut dire de quel côté penchera la balance entre « fragmentation » et « remondialisation ».