Nous nageons en pleine confusion. Les européens comme les américains se déchainent devant les tribunaux ou commissions parlementaires pour attaquer les GAFA, essentiellement sur deux sujets, l’abus de position dominante et la protection insuffisante des données de leurs clients, c’est à dire de nous. L’idée est simple, il faut d’une manière ou d’une autre affaiblir ces entreprises dont chacun voit bien aujourd’hui qu’elles déterminent notre avenir.
Sur un plan plus conceptuel, chacun reconnaît les mérites de ces entreprises et la qualité de ce qu’elles nous proposent. Mais c’est là où les positions divergent fondamentalement. Certains mettent en avant la baisse des coûts pour le consommateur et à leurs yeux, bien naïfs, ceci pardonne tout le reste. D’autres, la majorité, veulent revenir à une régulation plus stricte et une taxation qui corresponde à la réalité de leurs activités. C’est une position rationnelle d’économiste qui est convaincu que le respect de règles bien calibrées permet de régler toute difficulté. C’est louable mais vraisemblablement très éloigné de ce qui est en train de se jouer. Si Margaret Vestager se concentre sur la concurrence, la position de Thierry Breton est beaucoup plus explicite et novatrice. Le Digital Service Act est la première vraie tentative de limiter l’expansion infinie des activités des GAFA. Le mot démantèlement est évoqué retrouvant là le débat lancé il y a quelques années par Elizabeth Warren et quelques autres. Quant à la fiscalité, on se heurte à la règle absurde de l’unanimité qui évidemment bloque toute initiative de la part des pays qui tirent profit de cette situation. Mais c’est aux Etats-Unis, que le problème se pose surtout, pour aujourd’hui et pour le long terme.
Le dilemme est simple, faut-il ou non limiter le pouvoir des GAFA? Aujourd’hui c’est un sujet très délicat, tout simplement parce qu’elles représentent 25% de la valorisation du S&P. Mais surtout elles sont un instrument formidable dans le rapport de force économique mondial. Certes le premier argument est très fort car il concerne l’accroissement des revenus des détenteurs d’actions. Mais le second prend d’autant plus d’importance que nul n’abandonne son leadership technologique facilement. Et pourtant bien naïfs son ceux qui pensent qu’à terme l’équilibre actuel peut se poursuivre naturellement. Car deux logiques vont s’affronter, celle de la puissance financière et technologique américaine et celle du pouvoir des politiques, qui quel que soit leur bord, n’accepteront jamais de se voir retirer leur capacité de décision. Il n’y a rien de nouveau dans tout cela, c’est la compétition entre le pouvoir et l’argent. Mais l’Histoire nous rappelle que le désir de pouvoir finit toujours par s’imposer à celui de l’argent car ce dernier n’est en fond qu’un moyen.
Le nouvel équilibre pourrait prendre de nombreuses formes y compris l’interdiction faite aux GAFA d’investir dans de nouveaux domaines scientifiques, technologiques ou commerciaux. Quant à l’Europe, elle a perdu cette première bataille, mais rien n’indique que la prochaine étape technologique ne puisse être une véritable opportunité. Nous avons tout, la compétence scientifique, les capacités de financement et même aujourd’hui un Commissaire en charge du sujet, particulièrement compétent et expérimenté. Encore faut-il une décision européenne de financer massivement cette ambition.