Avant de passer le flambeau à Christine Lagarde, officiellement jeudi 31 octobre prochain, le président de la BCE, Mario Draghi, vient de tenir sa dernière réunion du Conseil de politique monétaire. Ambiance tendue sur fond de désaccord partiel quant à la politique monétaire menée par le président sortant. Jean-Paul Betbeze nous emmène dans les coulisses d’une passation de pouvoir compliquée.
Du jamais vu ! A l’issue de la réunion des 11 et 12 septembre du Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne, 8 membres sur 25 se sont opposés, à des degrés divers, aux décisions proposées par Mario Draghi, et finalement retenues. Abaisser les taux à -0,5%, et pour plus longtemps que prévu, rouvrir les achats de bons du trésor et d’obligations d’entreprises pour 20 milliards d’euros par mois, jusqu’à ce qu’inflation vers 2% s’ensuive, n’ont pas convaincu tout le monde.
Ces huit sont d’abord les cinq allemands et assimilés traditionnels : Jens Weidman, Président de la Buba, Klaas Knot de la Banque centrale des Pays-Bas, Robert Holzmann de celle d’Autriche, plus Sabine Lautenschläger, qui en profite pour démissionner à compter du 31 octobre (le jour du départ de Draghi !) ainsi qu’Yves Mersch. Ils sont rejoints par Madis Muller (Estonie) et, surprise de taille, par Benoît Cœuré et François Villeroy de Galhau !
Tout le monde est bien d’accord, à la BCE, sur le fait qu’il faut continuer de mener une politique monétaire accommodante et demander aux gouvernements qui ont « de l’espace fiscal » d’assouplir leurs politiques budgétaires. Une unanimité qui va de soi et une demande qui coûte d’autant moins que l’Allemagne et les Pays-Bas, dont les gouvernements ont « de l’espace fiscal », ne veulent pas en entendre parler… Ceci malgré ce que souhaitent les présidents de leurs banques centrales respectives : duplicité, schizophrénie ou avec aveu d’impuissance ? Une bonne majorité se dessine ensuite, pour aider les banques avec des financements plus longs et à taux privilégiés.
Les vrais couacs apparaissent dès qu’il s’agit de reprendre les achats de bons du Trésor pour contribuer au regain de l’inflation, surtout sans limite de temps (open ended). Les réticents ont jugé « les arguments en faveur d’une reprise des achats nets d’actifs non suffisamment solides » ! Certains d’entre eux pensent que l’instrument est devenu moins efficace, avec les taux actuels, ou alors qu’il est moins légitime, au vu de la conjoncture. Ils jugeraient alors qu’il s’agit d’un « instrument de dernier recours » (Benoît Cœuré et François Villeroy de Galhau ?). La nouveauté supplémentaire est que ces oppositions, si rares, s’expriment dans les médias, en opposition à la règle de silence qui escorte « normalement » les décisions prises dans cette enceinte.
Comment comprendre ces « fuites » qui appuient ces « réticences », pour rester mesuré ? Et comme rien ne vient au hasard, comment comprendre aussi cette lettre signée par d’anciens responsables (dont Otmar Issing, premier Chef économiste de la BCE, et Jacques de la Rosière, ancien patron de la Banque de France et Directeur général du FMI) qui se demandent si « derrière cette mesure se cache la volonté de protéger d’une hausse des taux des gouvernements lourdement endettés ». L’Italie bien sûr, sachant que le nom de Mario Draghi se chuchote pour en être le prochain Président !
L’âge d’or de Draghi est fini et celui de Christine Lagarde, sauf catastrophe, sera plus encadré. On attend qu’elle convainque les responsables allemands et néerlandais de diminuer leurs excédents budgétaires, et diminue ses achats de bons de trésor, ce qui fera monter les taux de tous ! Sympa. Si tout est le monde est d’accord, à la BCE, pour poursuivre la politique monétaire accommodante, tout le monde est aussi d’accord pour que Christine Lagarde la réduise, puis l’arrête. Bienvenue Christine !