La confusion sur le sens politique du Brexit a dégénéré en incertitude économique majeure qui déstabilise les consommateurs et les investisseurs, écrit Philippe Trainar. Le Royaume-Uni le paie déjà très cher, mais l’Europe aussi.
Depuis le référendum du 23 juin 2016, la Grande-Bretagne négocie son Brexit. Ce qui ne devait être qu’une formalité s’est finalement révélé être un long chemin de croix, et cela pour deux raisons principales. D’une part, le Brexit ne l’a emporté qu’à une courte majorité de 51,9 %, laissant aux politiques la tâche délicate de gérer l’insatisfaction de la moitié anti-Brexit de la population.
D’autre part, le contenu du Brexit n’a jamais été précis si ce n’est sous la forme d’une reconquête de souveraineté vis-à-vis de l’Europe, qui rend difficile tout compromis avec l’Europe. Même après avoir éliminé les options qui supposaient des abandons de souveraineté trop visibles, le Royaume-Uni a encore eu beaucoup de mal à entrer dans la négociation. Finalement, celle-ci s’est focalisée sur la question irlandaise et sur la transition, renvoyant à plus tard la négociation d’un accord commercial.
Une source d’incertitude
La confusion politique sur le sens du Brexit a contribué à aggraver son coût économique en raison de l’incertitude qu’elle a instillée dans le processus, ajoutant finalement un choc de demande à l’inévitable choc d’offre. Comme le montre l’enquête du Decision Maker Panel, qui interroge chaque mois un panel de 3.000 d’entreprises anglaises, le Brexit est une source d’incertitude importante et croissante. Plus de la moitié du panel considère que le Brexit est l’une de ses trois principales sources d’incertitude et un tiers du panel a décidé de réduire très significativement ses investissements en raison de cette incertitude.
Les économistes du Center for Economic Policy Research, un « thinknet » londonien de recherche en économie, estiment que, de ce fait, le coût économique du Brexit pour le Royaume-Uni se serait finalement élevé à 1,3 % du PIB dès 2017, puis à 2,2 % du PIB en 2018, et qu’il pourrait atteindre 3,4 % du PIB en 2019… avant même la mise en oeuvre du Brexit. Ce choc, qui est un pur choc de demande lié aux anticipations, induit mécaniquement un choc négatif de l’ordre de 0,15 % du PIB en Europe continentale (0,1 % en France). Il pourrait atteindre 4 % du PIB anglais à la fin de l’année prochaine.
Pas d’accord de libre-échange
Le gouvernement anglais se refuse à avancer des estimations, se contentant d’affirmer, par la voix de son chancelier Sajid Javid, que l’accord négocié par Boris Johnson est évidemment bon pour le pays. Positif ou pas, il n’en demeure pas moins que le Royaume-Uni va se retrouver sans accord de libre-échange avec l’Europe à l’issue du Brexit et qu’il lui sera relativement difficile de négocier un tel accord, étant donné les positions de départ des deux protagonistes.
En conséquence de quoi, les entreprises interrogées par le Decision Maker Panel anticipent, en moyenne, un effet globalement négatif du Brexit, avec une baisse de 2,5 % de leurs ventes et de 2 % de leurs exportations, et une hausse de 4 % de leurs coûts unitaires et de 3 % de leurs coûts du travail, les coûts financiers étant, quant à eux, marginalement accrus. Ces chiffres sont cohérents avec les estimations du FMI et l’OCDE sur le coût économique à long terme d’un Brexit sans accord de libre-échange qui se monterait à environ 3 % du PIB pour le Royaume-Uni et 0,5 % du PIB pour l’Europe continentale.
Quelle que soit l’issue de l’épisode actuel, le Brexit aura finalement coûté très cher au Royaume-Uni, et par ricochet aux Européens, du fait principalement de l’impréparation et des tergiversations anglaises.