Parmi les propositions formulées par le Cercle des économistes lors des Rencontres Economiques d’Aix-en-Provence des 12 et 13 septembre, beaucoup concernent l’Europe. Christian de Boissieu énumère les conditions indispensables pour permettre à l’Union européenne de s’imposer sur la scène internationale.
Priorité Europe. Je cite, pêle-mêle, l’urgence qu’il y a à créer des agences européennes de recherche et développement duales (civil/militaire) sur le modèle des agences américaines, la nécessité d’une taxe carbone aux frontières de l’Europe, l’accélération souhaitable du programme d’investissements d’avenir, etc.
Tout cela indique que nous pouvons vivre un « moment européen », une fenêtre de tir ouverte par les incertitudes américaines, le ralentissement chinois, la confusion associée au Brexit… L’Europe doit profiter de ce « moment », qui ne va pas nécessairement durer longtemps, pour s’affirmer comme puissance mondiale.
Le chemin à parcourir pour réaliser une telle ambition est semé d’embuches, et la situation de départ contrastée. Avec l’euro et la politique monétaire pragmatique de la BCE, la zone euro dispose d’une puissance monétaire conséquente. A l’opposé, l’absence d’une politique européenne de défense et de sécurité limite forcément les ambitions européennes. Malgré le Brexit, la défense de l’Europe va continuer à reposer sur le couple franco-britannique.
De manière plus générale, l’Europe puissance ne deviendra réalité que si plusieurs conditions sont satisfaites.
Une première condition : l’Europe doit améliorer ses performances en matière économique et sociale. La croissance y est, sur le moyen terme, trop faible, le chômage globalement parlant trop élevé. L’Europe doit mettre le paquet sur l’innovation, le numérique, l’éducation et la formation pour redresser la croissance et l’emploi. Il lui faut réussir le mariage de l’économie et de l’écologie, et mettre en place des stratégies industrielles et financières à l’échelle européenne. Je pense par exemple à la mise en route (enfin !) de l’union des marchés de capitaux.
Seconde condition d’importance : l’Europe doit cesser d’être naïve dans un monde qui ne l’est pas. Il faut faire évoluer la politique européenne de la concurrence, en permettant la constitution de grandes firmes compétitives face aux géants américains, chinois… L’Europe doit absolument adopter un « Buy European Act » pour canaliser une part significative des marchés publics vers les PME. Nous devons aussi appliquer les règles prudentielles comme Bâle III et Solvabilité II avec discernement, sans chercher à être le « meilleur élève de la classe ». Ne pas hésiter non plus, du côté de la BCE, à mettre en œuvre une politique de change si l’euro continue de s’apprécier vis-à-vis du dollar.
Last but not least, une Europe puissante requiert des progrès substantiels dans la gouvernance européenne. Comme tous, je salue l’accord de juillet sur le plan de relance de 750 milliards d’euros, avec un début de mutualisation des dettes publiques. Mais les propositions françaises pour consolider la zone euro semblent enterrées.
Le débat qui s’amorce sur des ressources propres pour l’UE va être à la fois un vrai défi et un test des intentions européennes des uns et des autres. On en a déjà eu la preuve avec le projet avorté de taxe sur les transactions financières ; les mêmes difficultés s’annoncent pour la taxe carbone et la taxation du numérique.
La formule des « coopérations renforcées », en permettant à une avant-garde de pays d’aller de l’avant, permet de contourner la contrainte de l’unanimité. Mais en matière fiscale, il faut embarquer tout le monde en Europe sous peine d’engendrer de fortes distorsions et délocalisations. Pour la crédibilité des ambitions de l’Europe, il nous faut sortir, d’une manière ou d’une autre, de ce cercle vicieux dans lequel il faut l’unanimité pour abandonner l’unanimité…