Les sanctions économiques mises en place par l’Union européenne sont-elles vraiment efficaces ? Après un rappel sur les sanctions et leur utilisation, Philippe Trainar appelle à une utilisation plus modérée et sélective de cet outil.
Les sanctions économiques internationales ont connu un succès croissant sous la pression de l’opinion publique et des lobbies. Elles présentent l’avantage de remplir le vide entre la guerre meurtrière à l’issue incertaine et les démarches diplomatiques le plus souvent infructueuses. Elles permettent de donner satisfaction aux valeurs que nous souhaitons défendre, mais pas à tout prix, avec le sentiment de rendre plus difficile, voire impossible, la poursuite de leurs objectifs coupables par les pays ou personnes sanctionnés. D’une certaine façon, les sanctions économiques ne sont que la guerre poursuivie par d’autres moyens.
La hausse vertigineuse du nombre de sanctions
Certes, l’usage des sanctions économiques n’est pas nouveau. Ce qui est en revanche nouveau, c’est la multiplication rapide des sanctions économiques. Au début de l’année 2022, on comptait plus de 400 mesures de sanction économique actives, contre un peu plus de 200 il y a dix ans, une centaine au début des années 80 et une vingtaine au début des années 50. 40% de ces mesures sont décidées par les Etats-Unis, 15% par l’Europe, souvent dans un rôle de suiveur par rapport aux Etats-Unis, et le reste par les organisations internationales comme l’ONU ou par d’autres pays, parmi lesquels les sanctionnés eux-mêmes.
Il est plus difficile de préciser le nombre de pays sanctionnés car les sanctions visent souvent des personnes et non des pays (trafiquants, terroristes…) et incluent de plus en plus, sous l’impulsion des Etats-Unis, une dimension extraterritoriale. C’est ainsi que certains experts estiment que, au-delà de la trentaine de pays directement visés par les Etats-Unis, ce seraient plus d’une centaine de pays qui seraient directement ou indirectement affectés. Ceci explique la difficulté croissante des Etats-Unis à trouver une majorité de pays pour soutenir des sanctions.
Les objectifs des sanctions
Les sanctions économiques répondent à des objectifs multiples (droits de l’homme, démocratie, agression, guerre, terrorisme, drogue, corruption, interférence dans des élections nationales etc.) et recourent à une large panoplie de moyens (interdiction du transfert de matériel sensible, des exportations, des déplacements, des transactions financières…). On ne peut leur dénier une certaine efficacité économique. Par rapport aux prévisions du Fonds Monétaire International avant la guerre en Ukraine, et son lot de sanctions, la Russie a perdu, en cumulé sur 2022 et 2023, 8% de son activité, largement imputables aux sanctions économiques, quand les économies avancées n’en ont perdu que 4%, dont une fraction non-négligeable imputable à la hausse des taux d’intérêt.
Les conséquences imprévues des sanctions
Il faut pourtant relativiser cet apparent succès. Tout d’abord, leur efficacité politique en termes de satisfaction des objectifs poursuivis est limitée aux sanctions portant sur des personnes ou sur des petits pays isolés désireux de réintégrer le « concert des nations ». Ensuite, comme on l’a vu pour le pétrole russe, les sanctionnés trouvent des débouchés de substitution pour atténuer les conséquences économiques des sanctions, et cela d’autant plus aisément que le nombre et la taille des sanctionnés augmentent et que l’économie est mondialisée. Enfin, la multiplication des sanctions incite les sanctionnés à se rapprocher pour se coaliser (cf. le rapprochement entre la Russie, la Chine et l’Iran), ce qui conduit inexorablement à une fragmentation du monde, laquelle devrait rendre progressivement inopérante les sanctions internationales… Ceci devrait inciter à un usage beaucoup plus modéré et sélectif des sanctions.