Le projet de lancement de l’éco, évoqué depuis longtemps et confirmé en décembre dernier à Abidjan par les présidents Ouattara et Macron, est ambitieux. Il consiste à instaurer entre les 15 pays de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) une union monétaire symbolisée par l’éco. Monnaie commune, venant se rajouter aux monnaies nationales, ou bien monnaie unique ayant vocation à remplacer les monnaies nationales comme l’est l’euro ? La réponse aujourd’hui n’est pas claire, mais le scénario de la monnaie unique dans la CEDEAO est dans les esprits.
L’éco est un projet fédérateur puisqu’il rassemble des pays anglophones, francophones et lusophones. Même certains pays loin de l’Afrique de l’Ouest manifestent de l’intérêt pour cette initiative (je pense par exemple à la Tunisie).
Par ailleurs, l’éco est un projet évolutif. A Abidjan en décembre, ont été évoqués deux piliers du nouveau dispositif : l’ancrage de l’éco à l’euro et la garantie apportée par la France à la nouvelle monnaie. Lier l’éco à l’euro me semble une formule transitoire. A terme, il serait plus justifié d’ancrer l’éco sur un panier composé de trois monnaies, le dollar, l’euro et le yuan chinois (vu les liens Afrique/Chine), en tenant compte de la structure du commerce extérieur.
Quant à la garantie apportée par la France, elle sert à démarrer l’éco mais n’a plus grand sens à partir du moment où les huit pays de l’UEMOA sortent du franc CFA et où le compte d’opérations auprès du Trésor français disparaît pour ces pays-là.
L’éco pourrait se révéler assez vite une solution gagnant-gagnant. L’Afrique de l’Ouest devrait y gagner en crédibilité monétaire, avec tout ce que cela permet, et l’Europe à travers la France devrait y voir une façon intelligente d’opérer la mutation nécessaire de la zone franc.
En pratique, tout reste à faire !
Le calendrier annoncé-lancement de l’éco en 2020-est déjà obsolète. On voit mal comment ce projet pourrait voir le jour avant au moins deux ou trois ans. D’abord parce que les conditions de sa mise en œuvre sont loin d’être respectées aujourd’hui. Les critères de convergence (taux d’inflation, déficit public, dette publique,…) sont loin d’être vérifiés à 15 ; ils ne le sont déjà pas pour tous les pays de l’UEMOA. Et l’Afrique de l’Ouest fait en l’espèce la même erreur que l’Europe, en privilégiant des critères de convergence nominale plutôt que l’essentiel, la convergence réelle mesurée en termes de croissance, de productivité, d’emploi…Par ailleurs, et dans la durée, la réussite de l’éco supposerait un degré élevé de coordination budgétaire et fiscale dans la zone ainsi qu’un volume suffisant de transferts publics centralisés au niveau de la CEDEAO. Autrement dit, une monnaie unique requiert une réelle gouvernance économique et politique à l’échelle de la CEDEAO. C’est l’une des leçons à retenir de la crise de la zone euro à partir de 2010. Ici, l’Europe ne doit pas servir de modèle pour l’Afrique mais d’expérience.
Une monnaie unique doit pouvoir s’adosser à un marché financier suffisamment actif. Or, la juxtaposition de plusieurs marchés financiers émergents (Lagos, Accra, Abidjan, Dakar,…) ne fait pas un marché émergé, loin de là. En Europe, l’union bancaire a précédé l’union des marchés de capitaux, elle-même à peine esquissée. Pour la CEDEAO, je conseille plutôt la séquence inverse, donc de commencer par le rapprochement des marchés émergents concernés.
Dès janvier dernier, de graves fissures sont apparues. Le Nigéria et le Ghana contestent à la fois la procédure et le fond, recréant déjà une fracture entre pays anglophones et francophones. Ce n’est pas vraiment une surprise : on avait bien compris que pour l’éco comme pour l’euro, les défis à relever sont plus politiques que techniques.