Pour Jean Pisani-Ferry, membre du Cercle des économistes, quatre enseignements se dégagent au sujet de la sortie du Royaume-uni de l’Union européenne. L’un d’entre eux est le maintien, après le divorce, des Britanniques dans l’orbite de l’Union.
« Un récit conté par un idiot, plein de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien » : depuis bientôt trois ans que dure la saga du Brexit, c’est Macbeth qu’évoquent l’affrontement des ambitions, la barbarie politique et le chaos institutionnel qui ont saisi Westminster. Avec bien sûr, dans le rôle de l’idiot, une démocratie britannique hier révérée et aujourd’hui humiliée par sa propre impuissance.
Les apparences sont cependant trompeuses : le Brexit signifie beaucoup et il est déjà possible d’en tirer des leçons. Les dégager suppose évidemment de faire abstraction de la question irlandaise. Personne – surtout pas les Brexiters – n’avait mesuré le dilemme que pose la volonté de ne séparer ni les deux parties de l’Irlande, ni la Grande-Bretagne et l’Ulster, et personne n’avait imaginé que Dublin réussirait, sans aucune contrepartie, à rallier à sa cause l’ensemble des Vingt-Sept. Jusqu’au bout, cette question aura dominé les négociations.
Le cas britannique était particulier pour une autre raison aussi : le poids du pays, son rôle géostratégique, le fait qu’il abrite la première place financière de l’UE, la qualité reconnue de sa diplomatie laissaient attendre une négociation très âpre, avec à l’arrivée davantage de concessions qu’aucun autre candidat potentiel à la sortie ne pourra jamais en obtenir. Qu’en est-il aujourd’hui ? Quatre enseignements se dégagent.
Un accord très européen
Premièrement, il est possible de quitter l’Union. Risquons une prévision : le Royaume-Uni sortira dans l’année qui vient sur la base de l’accord négocié par Theresa May assorti, dans un premier temps, d’un arrangement douanier et d’une perspective politique d’accord de partenariat avec les Vingt-Sept.
Deuxièmement, les termes de cet accord de sortie ont essentiellement été déterminés par les Vingt-Sept. Ceux-ci ont rapidement fixé leurs lignes rouges, notamment l’indivisibilité des « quatre libertés » (liberté de circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes) et la séquence des négociations (accord de retrait en préalable à toute discussion sur la relation future). Ils ont mis leurs désaccords de côté et se sont strictement tenus à leurs positions de départ. Quoi qu’on en pense sur le fond – il y avait matière à contester la position de l’UE -, force est de constater que Michel Barnier et son équipe l’ont emporté sur toute la ligne.
Sortie payante
Troisièmement, la sortie n’est pas gratuite. Le Royaume-Uni, qui était un contributeur net au budget communautaire, ne peut juridiquement pas se défaire du jour au lendemain de ses engagements. Londres a accepté de régler à ses partenaires quelque 42 milliards d’euros, au fil des années à venir.
Quatrièmement, les Britanniques demeureront dans l’orbite de l’Union. Bien sûr, le prochain Premier ministre prendra des initiatives flamboyantes et jouera, ici ou là, la concurrence réglementaire avec les Vingt-Sept. Mais, en matière de commerce, de concurrence ou de régulation, la puissance restera continentale. Londres, très probablement, aura échangé une influence réelle contre l’apparence de l’autonomie.
Pour les Brexiters, la pilule est amère. Pour leurs éventuels émules, la leçon est sévère. Mais cela ne veut pas dire que le Brexit sera sans suite. Dès l’accord passé, un autre jeu commencera, qui consistera à réintégrer partiellement le Royaume-Uni dans un ensemble de partenariats sectoriels plus ou moins ambitieux. Jusqu’où ira cette recomposition, ce qu’elle impliquera pour l’Union, nul ne le sait. Mais ce sera un des grands enjeux de la prochaine décennie.