Les années où le PIB français était supérieur au PIB chinois sont loin derrière nous. Or, comme le rappelle Christian Saint-Etienne, les grandes puissances n’obéissent qu’aux rapports de force…
L’évolution des relations entre la France et la Chine au cours des six dernières décennies illustre la transformation du monde au cours de cette période. Au point de départ, en 1964, lorsque Charles de Gaulle reconnaît la République populaire de Chine, la relation est nimbée de romantisme entre une Chine lointaine, affaiblie par une lutte de pouvoir idéologique et militaire avec l’URSS qui durera de 1962 à 1969, et une France en plein renouveau économique et industriel.
Les années 1980 voient la Chine s’éveiller tandis que la France continue de se moderniser. Elle vend des sonars à la marine chinoise et lance le programme nucléaire civil qui lui donnera une indépendance certaine dans la production électrique. Airbus et le TGV affirment le renouveau français alors que la répression des manifestations de Tian’anmen en 1989 abîme l’image de la Chine dans le monde. Mais Deng Xiaoping relance les réformes économiques chinoises lors de sa célèbre « Tournée d’inspection » dans le Sud du pays en 1992.
L’inversion du rapport de force
Puis, tout s’inverse avec l’entrée de la Chine à l’OMC en 2001. Sous l’effet du « 11 septembre » et alors que la Chine se déclare alliée des Américains dans la lutte contre les « puissances du Mal », les Etats-Unis oublient d’exiger en retour une ouverture réelle de l’économie chinoise. L’essor chinois devient stratosphérique alors qu’au même moment, et sans qu’il y ait un lien théorique entre le chat chinois qui attrape toutes les souris et le « post-industriel » qui coupe les griffes du chat français, la France entre dans la Grande stagnation du 21e siècle avec une croissance annuelle de 1% de 2001 à 2022.
Or, en se rendant en Chine il y a quelques jours, Emmanuel Macron a oublié que les grandes puissances n’obéissent qu’aux rapports de force. La France, dont le PIB était six fois supérieur à celui de la Chine en 1964 et sera six fois inférieur en 2023, est devenue un nain pour la République populaire. Il a surtout commis deux erreurs. D’abord se rendre en Chine dans l’espoir d’obliger cette dernière à s’impliquer totalement dans le conflit ukrainien pour forcer la Russie à retirer son poignard planté dans le flanc Est de Kiev. Or la Chine, en dépit de son appel à la paix, est l’autre grande bénéficiaire de cette guerre avec les Etats-Unis qui se servent de ce conflit pour reprendre le contrôle stratégique de l’Europe. En effet, la Russie affaiblie par son crime tombe comme un fruit mûr dans la bouche du dragon qui ne s’empêchera jamais de s’en délecter.
L’invitée encombrante
L’autre erreur fut d’inviter Ursula von der Leyen qui devait « l’accompagner » mais qui l’a poignardé dans le dos avant même le voyage en prononçant un discours très dur sur la Chine le 30 mars, un discours qu’elle aurait dû prononcer un mois plus tard et qui visait surtout à proclamer son obéissance à Biden en préparation de sa carrière future.
Enfin, oubliant la France et ses intérêts dans le Pacifique, Macron a peu évoqué le déficit bilatéral abyssal de 54 milliards d’euros en 2022 contre 5,7 milliards d’euros en 2000. La désindustrialisation de la France se paie cash. Les quelques annonces de ventes d’avions et d’hélicoptères étaient en négociation depuis longtemps. Quant au Pacifique, s’il ne faut pas se lier aux Américains qui nous ont éjecté d’Australie, il convient d’insister sur la liberté primordiale de navigation.
Un voyage raté, donc, sur fond d’inversion des rapports de force. Mais il reste une douceur amoureuse entre les deux pays en souvenir de la main tendue par la France il y a six décennies quand la Chine était seule et au bord de la noyade.