L’immigration est trop souvent attachée à des préjugés négatifs alors qu’elle revêt différentes facettes et pourrait bien constituer une solution plus qu’un problème pour le Vieux Continent, selon Hippolyte d’Albis et Jean-Hervé Lorenzi.
L’audace paye. Il y a quelques jours, au Mali, s’est tenu le 19e Forum de Bamako . Le thème était particulièrement délicat, puisqu’il s’agissait de questionner l’ensemble des enjeux diplomatiques, économiques et sécuritaires liés à l’immigration. Un sujet très marqué par des positions politiques et idéologiques qui parfois autorisent toutes les dérives.
Au-delà, le débat s’enlise souvent car les bienfaits et difficultés liées à l’immigration ne sont pas simples à mesurer. Prenons, par exemple, le cas du départ de dizaines de milliers de jeunes diplômés français vers Londres, la Californie ou l’Asie. Est-ce un bien ou est-ce un mal pour l’économie française ? Tout dépend s’il s’agit d’un départ définitif ou d’une expérience professionnelle plus ou moins longue.
Les mots ont un sens et, malheureusement, les multiples facettes du phénomène migratoire sont trop souvent réduites à une dénomination univoque des personnes concernées, « les migrants ». Au mieux, on s’autorise un adjectif, plus ou moins positif. On parlera d’immigration choisie, subie, économique, familiale, humanitaire… Ces catégorisations biaisent l’approche d’un sujet qui sera central dans les années qui viennent.
Car oui, la nouvelle mondialisation, celle qui dépassera et la globalisation économique et financière des vingt dernières années et les replis identitaires pour trouver un équilibre plus respectueux des populations, des formes de travail, des équilibres mondiaux, considérera que les flux migratoires ne sont plus un problème mais un de ses éléments fondamentaux. Peut-on imaginer que les 10 milliards d’êtres humains qui vivront bientôt sur Terre n’auront pas la possibilité de se déplacer ? Cela ne revient pas un instant à nier les problèmes de plus court terme tels qu’ils se posent, par exemple, aux pays européens mais revient à introduire une donnée finalement parfaitement illustrée par le désir obsessionnel de Donald Trump d’établir un mur qui, symboliquement, sépare l’ancien monde de ce que sera le XXIe siècle.
Renforcer le dialogue entre l’Europe et l’Afrique
Le forum de Bamako s’est interrogé sur les politiques à mener en prenant en compte tout à la fois le bien-être des personnes qui migrent, les réactions et les appréhensions des populations des pays d’accueil, et les enjeux socio-économiques des pays de départ. Il faut renforcer le dialogue entre l’Europe et l’Afrique en le fondant sur des vérités et non pas des faits tronqués.
Cela concerne, en particulier, deux reproches trop souvent adressés aux populations immigrées : « Ils viennent prendre nos emplois », « ils plombent nos comptes sociaux. » Sur ce point-là, les faits sont têtus, et les recherches récentes montrent que l’immigration n’entraîne ni une hausse du chômage ni une dégradation des finances publiques des pays d’accueil.
Les sujets globaux portent aussi en eux des dimensions locales. Comment ne pas relier l’immigration aux évolutions démographiques et en particulier à la fécondité en Afrique. Le sujet est délicat, car il a trait à la culture et à l’intime et qu’il a été parfois abordé brutalement par des donneurs de leçons venus d’ailleurs.
Pourtant, d’ici à 2050, un jeune sur trois dans le monde sera né en Afrique subsaharienne . Cette jeunesse aura face à elle un double défi. Tout d’abord, la poursuite du développement de l’Afrique afin de créer les emplois qui leur sont nécessaires et de répondre à l’enjeu de sécurité alimentaire que représente une population mondiale qui pourrait atteindre 10 milliards d’individus. Le co-développement doit d’urgence se renouveler et sortir de son flou artistique. Mais c’est aussi sur cette jeunesse que des pays vieillissants mais ouverts pourraient s’appuyer pour retrouver à terme une croissance pérenne.