Développement durable et dette soutenable. Tel était le thème de la Conférence internationale organisée à Dakar début décembre par la République du Sénégal, avec le Cercle des économistes. Objectif : permettre à l’Afrique de se développer économiquement et socialement sans alourdir le fardeau de la dette. Pour André Cartapanis, le défi passe notamment par une forte mobilisation de l’épargne et des capitaux privés.
D’un côté, l’économie européenne combine des taux d’intérêt très bas et une croissance en berne. Les épargnants, les assureurs, les banques souffrent de la faiblesse extrême des rendements sur les titres ou les crédits à long terme. Et sur le plan macroéconomique, la zone euro dégage un excédent de balance des paiements courants qui révèle un excès d’épargne nette replacé dans le reste du monde développé, notamment aux Etats-Unis.
D’un autre côté, l’Afrique sub-saharienne enregistre des taux de croissance bien plus élevés malgré le déficit d’épargne intérieure. Grâce à leur insertion dans les chaines de valeurs mondiales certains pays africains se rapprochent même d’une croissance à deux chiffres. La rentabilité du capital est élevée et les taux à long terme bien plus hauts qu’en Europe. Mais ils peinent à obtenir les financements internationaux de nature à répondre aux immenses besoins d’investissements dans les infrastructures routières, ferroviaires ou maritimes, la santé, l’énergie électrique, l’éducation.
Comment expliquer ce paradoxe ? Les investisseurs, les gestionnaires de produits d’assurance sont averses au risque. Les règles prudentielles qu’ils doivent respecter restreignent la part des engagements sur les émergents et, plus encore, sur l’Afrique. Surtout, à cause d’une évaluation très sévère du risque-souverain africain de la part des agences de notation, ce qui renchérit ou réprime l’endettement externe. Or, l’endettement public et privé a atteint au niveau mondial 225% du PIB en 2018, là où l’Afrique est seulement à 55% de ce PIB. S’y ajoute un usage encore insuffisant des instruments disponibles de couverture ou de garantie des risques dans ce type d’investissement, en obligations, en crédits à long terme ou en capitaux propres. C’était en substance le thème central du sommet qui a réuni le 2 décembre 2019 à Dakar, la nouvelle Directrice-générale du FMI, les chefs d’Etat et de gouvernement des pays de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) à l’initiative du Président du Sénégal, Macky Sall, et du Cercle des économistes.
Le « Consensus de Dakar » qui s’est dégagé recouvre plusieurs principes. Il est possible d’accélérer la croissance en Afrique sub-saharienne de 3,4% aujourd’hui à 6% par an. Cela nécessite d’accroître massivement les investissements en infrastructures, en mobilisant les transferts d’épargne externe d’une cinquantaine de milliards de dollars par an, aujourd’hui, en flux nets, à 100 milliards de dollars pour les 15 ans à venir. Cela suppose un effort, du côté des pays africains, dans la conception de projets d’infrastructures « bancables », adossés à des règles juridiques transparentes au moment des appels d’offres, s’insérant dans une stratégie de développement intégrée et offrant ainsi une lisibilité à long terme, réduisant les incertitudes.
Un effort essentiel doit surtout être fourni pour mobiliser les capitaux privés. Pour cela, les mécanismes d’évaluation et d’assurance sur les risques encourus par les investisseurs dans la région doivent être améliorés. Cela permettra de rendre éligibles ces financements au sein des engagements et des portefeuilles des principaux intermédiaires financiers européens (banques, assurances, et fonds d’investissements). Une attention particulière doit être accordée à la mobilisation du “private equity” et de la “private debt”.
Mais il faut au préalable redéfinir les contraintes posées par les agences de notation, les investisseurs privés et les institutions internationales, sur l’endettement interne et externe des pays africains. Ces niveaux doivent désormais être pensés en fonction de leur effort en matière d’investissement en infrastructures et de leur croissance potentielle, de manière à rendre atteignable l’objectif des 6% de croissance, tout en exigeant des conditions de bonne gouvernance et de soutenabilité à long terme. Le surcroît de croissance en Afrique pourrait induire un impact positif sur la croissance européenne de l’ordre de 0,2 point. De telle sorte qu’émerge enfin un jeu gagnant-gagnant entre l’Europe et l’Afrique.