Morigéné par Greta Thunberg, chahuté dans une marche pour le climat, et maintenant menacé au point de devoir porter un gilet pare-balles… la campagne de Justin Trudeau et du Parti libéral pour les législatives n’a rien d’une sinécure selon Hippolyte d’Albis.
L’environnement est un dossier particulièrement miné pour le premier ministre, qui apparaît facilement sur la scène internationale comme un ardant défenseur de la lutte contre le changement climatique mais qui, en interne, doit défendre une politique énergétique reposant sur des choix concrets.
Les passions se déchaînent en particulier sur les projets d’oléoducs au départ de l’Alberta, une province qui assure plus de 80% de la production canadienne de pétrole -soit plus de 3,7 millions de barils par jour- essentiellement à partir de sables bitumineux. Le modèle économique de l’Alberta est mis à mal par l’effet conjugué de la faiblesse des cours du pétrole depuis 4 ans et de la baisse de la demande en provenance de son principal marché à l’export, les Etats-Unis, dont la production et les réserves atteignent des niveaux inégalés.
Les pétroliers de la province cherchent donc de nouveaux débouchés et font valoir leur besoin d’un accès facilité à la mer. Sous le gouvernement Trudeau, deux projets ont suscité de vives controverses. Le projet Energie Est, qui devait rejoindre l’Atlantique en desservant au passage des raffineries québécoises, a été abandonné il y a deux ans par ses promoteurs sous prétexte de nouvelles normes environnementales. Mais c’est surtout l’agrandissement du réseau Trans Mountain, visant à tripler la capacité pouvant être convoyée vers le Pacifique, qui est au cœur de la campagne. Malgré les multiples oppositions de la Colombie Britannique, des communes traversées, des défenseurs de l’environnement et des Premières Nations, le gouvernement avait tranché en faveur du projet, allant même jusqu’à racheter l’ensemble de l’oléoduc en 2018.
Justin Trudeau se retrouve ainsi à la fois attaqué par Elisabeth May, qui dirige le Parti Vert et lui reproche ses atteintes à l’environnement et aux populations locales, et par le conservateur Andrew Scheer, qui fait valoir les gains économiques que les provinces pourraient retirer à une politique volontariste de développement du réseau d’oléoduc. La résurgence d’un projet vers l’est suscite dès lors de fortes craintes au Québec, faisant ainsi le jeu du Bloc québécois emmené par Yves-François Blanchet. La Belle Province, avec son statut de méga swing state, est particulièrement au centre de cette campagne électorale, remettant sur la table les traditionnelles polémiques sur la laïcité dans l’espace public et la péréquation entre provinces.
Quelles leçons peut-on en tirer pour l’Europe ? La première est que, passés les effets d’annonce, la politique environnementale est complexe dans une zone où les intérêts sont divergents. Aux promoteurs d’un grand plan de relance européen en faveur de la transition énergétique, on pourrait rétorquer qu’il va être difficile de réconcilier des Etats, à commencer par la France et l’Allemagne, qui ont fait des choix énergétiques radicalement différents. Il ne faut pas non plus sous-estimer la profonde opposition de chaque gouvernement à voir sa contribution nette au budget européen augmenter. La seconde leçon est que l’intégration prend du temps. Cela fait plus de 150 ans que les colonies septentrionales d’Amérique du Nord se sont unifiées dans une fédération, mais encore aujourd’hui, les oppositions politiques entre les provinces restent tenaces.