La crise est loin d’être derrière nous mais il faut déjà imaginer le monde d’après, et par là-même les institutions qui en fixeront les règles du jeu. Car les économies de marché ne se réduisent pas aux ajustements qui s’opèrent sur les marchés. Les travaux de Douglas North ou de Daron Acemoglu ont démontré que les institutions défaillantes étaient au cœur du recul des nations.
Formelles ou informelles, elles ne se limitent pas au système politique mais recouvrent les règles de droit s’appliquant aux agents économiques, l’articulation entre les politiques publiques et le jeu de la concurrence, les attributions de l’Etat-Providence, les croyances dominantes ou les systèmes d’incitations, le contrat social propre à chaque type de capitalisme, les modes de gouvernance de la mondialisation…
Avant la crise, nombre de ces institutions étaient décriées, certaines étaient rejetées parce que la croissance était trop faible, parce que les inégalités s’accentuaient, parce que la mondialisation menaçait l’autonomie des Etats-Nations et l’exercice de la démocratie. Sans parler des retards dans la lutte contre le réchauffement climatique. La crise du Covid-19 a révélé ce que beaucoup se refusaient à voir et nous vivons un moment critique où des changements institutionnels profonds apparaissent comme la seule réponse raisonnable pour éviter l’enlisement dans la crise économique et sociale et le risque de chaos sur le plan politique.
Mais il est douteux que le monde d’après résulte d’un grand soir, d’un engouement spontané pour une nouvelle idéologie (et d’ailleurs laquelle ?) et la création ex nihilo de nouvelles institutions. Avec le retour des Etats, le monde d’après résultera d’un processus incrémental, répondant démocratiquement aux insatisfactions du passé tout en tirant les leçons de la gestion de crise.
Car le Covid-19 a bousculé les principes directeurs sur lesquels reposaient nombre d’institutions. L’urgence les a forcées à s’affranchir des anciennes routines et à changer de logiciel : la résilience face aux chocs extrêmes, et non pas seulement l’efficacité face aux turbulences du court terme ; la coopération, et non pas seulement la compétition entre les Etats ou entre les entreprises ; la solidarité entre les Hommes et la valeur sociale de leur survie, et non pas seulement la maximisation des richesses…
A leur spécialisation pour en assurer l’efficacité ont répondu la polyvalence et la multiplicité des objectifs. Le strict respect des missions s’incarnant dans des règles codifiées a été remplacé par une action discrétionnaire transgressant de nombreux tabous. Les banques centrales ont répondu aux évènements extrêmes liés à la pandémie, loin de leur mandat. Le crédit bancaire, largement garanti par les Etats, a dû s’apparenter à un sauvetage en dernier ressort des entreprises. Les Etats ont repris conscience de leur horizon infini en éludant la question de la soutenabilité budgétaire.
La césure entre le politique et les marchés est devenue poreuse lorsque les autorités de la concurrence ont avalisé l’explosion des aides d’Etats et quand la Commission européenne a affiché, plutôt que la concurrence libre et non faussée, son objectif de souveraineté industrielle et technologique et d’indépendance sanitaire. La ligne de partage entre les experts et la décision politique issue de la démocratie représentative s’est déplacée…
Il faut maintenant traduire ce nouveau logiciel en réinventant les institutions du monde d’après. Nous le ferons lors des Rencontres économiques les 3, 4 et 5 juillet.