Dans l’arène où sévissent les populistes, la question économique est au cœur de la dénonciation des élites et de « leur » politique, dictée par les intérêts des banques et des marchés, qui favoriserait une globalisation tous azimuts, indifférente aux effets de la désindustrialisation, de la pauvreté, des inégalités. Mais cet argumentaire résiste-t-il à l’analyse économique ? Retour sur la carte blanche du Cercle des économistes aux Rendez-vous de l’histoire 2022.
Que doivent faire les économistes face à la montée des populismes ? De leur propre aveu, « les économistes n’ont pas la prétention d’être des spécialistes du populisme ». Pour autant, l’économie peut être une grille de lecture utile et éclairante pour analyser le fait populiste. C’est à partir de ce constat que 17 membres du Cercle des économistes ont décidé, avant l’élection présidentielle, de se livrer à cet exercice d’analyse.
De droite ou de gauche, « le populisme économique est un miroir aux alouettes »
Comme l’explique André Cartapanis, le populisme économique ne répond pas à une théorique économique. Il s’agit simplement d’une stratégie électorale mobilisant des ressorts bien connus. S’ils se retrouvent sur certains points – dénonciation des inégalités et des élites, exigence de protection face à des menaces extérieures, refus de l’orthodoxie monétaire ou budgétaire –, on ne peut pas loger tous les populismes à la même enseigne. André Cartapanis distingue deux grandes catégories de populismes.
D’un côté, les populismes classiques aspirent à mener des politiques radicales et globales, basées sur le protectionnisme, un déficit budgétaire débridé, l’augmentation des salaires et des impôts pour les plus riches. Leurs politiques sont principalement macroéconomiques.
De l’autre côté, les néo-populismes vont davantage chercher à mener une guerre monétaire et commerciale, remettre en cause l’indépendance des banques centrales et chercher la fermeture, physique ou symbolique, des frontières. C’est dans ce dernier cadre que s’inscrivent Donald Trump, Recep Tayyip Erdoğan ou des mouvements comme le Brexit. Leurs politiques sont principalement microéconomiques.
Dans la pratique, l’analyse des politiques populistes apporte un constat : elles ne débouchent que sur des échecs économiques. En privilégiant un objectif du pouvoir d’achat et en sous-estimant le risque inflationniste, elles négligent l’interdépendance de l’économie. En privilégiant le court terme et en négligeant la question du potentiel et du système productif, elles débouchent sur des pénuries.
La finance, bouc émissaire des populistes
« La finance », mondialisée ou à minima européenne, fait l’objet de critiques récurrentes des populistes. Les banques et les marchés, complices des élites politiques, pousseraient ces dernières à adopter des mesures en faveur d’une globalisation effrénée, indifférente aux effets sur la population. Cette critique a gagné en vigueur après la crise financière 2008, reposant selon Patrick Artus sur « une diabolisation des élites et de la finance ».
Pour Patrick Artus, cette vision simpliste d’une réalité complexe est erronée. En effet, depuis 2008, le secteur financier – au moins au niveau européen – a engagé une mue profonde. En témoigne les investissements massifs dirigés vers la transition climatique avec l’explosion des titres labellisés ESG (respectant des critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) depuis quelques années.
L’histoire et la culture au cœur du discours populiste
Pour accéder au pouvoir, les populistes déploient notamment une rhétorique d’exclusion de l’autre, de rejet des élites ou une vision nationaliste et xénophobe du monde. Pour donner de la force à cette vision, les populistes n’hésitent pas à réécrire l’histoire et à cibler l’économie de la culture.
Selon Françoise Benhamou, la politique culturelle mise en place pour l’opéra est un bon exemple de ce raisonnement. Le soutien public à l’opéra et les sommes qu’il représente sont en fait un soutien aux élites. Puisque toute la société n’en profite pas, cette politique culturelle n’aurait donc pas lieu d’être. Toutefois, si elles ne sont pas une solution, ces critiques peuvent avoir une vertu, en forçant les démocraties « à regarder ce qui ne va pas dans leur société ».
Une lecture biaisée des enjeux d’immigration
Dernier ressort souvent mobilisé par les populistes, l’immigration est brandie pour alimenter la peur de l’autre. Comme le rappelle Hippolyte d’Albis, elle offre une solution aussi simple que séduisante : en supprimant l’immigration, en mettant dehors les migrants, il serait possible de supprimer le chômage d’un pays, au motif que les immigrés « prendraient » le travail des nationaux.
Qu’en est-il dans les faits ? Selon Hippolyte d’Albis, la réponse est simple : aucune étude n’a montré à ce jour l’existence d’un lien permettant de dire que les immigrés prennent le travail des nationaux. L’économiste Jennifer Hunt a mis en lumière, pour le cas de la France et de l’immigration méditerranéenne, l’absence d’impact de l’immigration sur le chômage. Certains travaux tendent même à montrer l’impact bénéfique de l’immigration sur l’économie. En effet, on trouve souvent les immigrés dans les secteurs où se concentrent des métiers caractérisés par des conditions de travail difficile – BTP, restauration, métiers du care et du soin à la personne. Les immigrants permettent donc de compenser les pénuries de travailleurs, là où les nationaux ne veulent plus aller.
Pour aller plus loin
Découvrir l’ouvrage collectif des membres du Cercle des économistes « Des économistes répondent aux populistes »
Revoir la table-ronde modérée par André Cartapanis aux #REAix2022 : « Populismes et pérennité démocratique«