Dans le cadre du grand débat national, le thème de la fiscalité est le plus périlleux.
Des quatre thèmes choisis pour le grand débat national, celui sur la fiscalité, « Comment pourrait-on rendre notre fiscalité plus juste et plus efficace ? » est largement le plus périlleux. Il est permis de se demander d’abord comment de simples citoyens pourraient avoir une idée informée sur un sujet classique de l’économie politique depuis David Ricardo : comment rendre l’impôt moins nocif pour l’activité économique ? La réponse demande nécessairement une expertise dans le domaine. Mais pourquoi donc le débat porte-t-il aussi sur des questions techniques ? En revanche, les citoyens s’exprimeront sur le sujet de la justice fiscale et leur avis sera parfaitement légitime. Mais là encore, le débat est piégé.
L’apanage du Parlement
Le débat sur l’impôt dans une démocratie est d’ordinaire l’apanage du Parlement. La phrase de Jefferson, « no taxation without representation », n’a pas pris une ride depuis deux cent cinquante ans, car la justice fiscale ne peut être que procédurale. À savoir que chaque citoyen a sa conception de la justice fiscale, que différentes conceptions s’opposent. On n’a rien trouvé de mieux pour établir un compromis raisonnable porteur de paix civile que d’organiser un vote sur la base une personne, une voix. Un système fiscal ne peut être jugé juste d’une manière ontologique. Seule l’onction du suffrage le rend juste.
Rien de tel dans le débat qui s’annonce. Aller dans un sens risque de contenter certains, tandis qu’il suscitera l’ire des autres. A la fin, l’exécutif choisira ce qui lui déplaira le moins et il n’aura fait que des mécontents. Tous ceux qui trouveront que l’on n’est pas allé assez loin dans le sens de l’alourdissement pour les plus aisés s’allieront à tous ceux qui seront plus imposés pour clamer leur colère.
Comme la fiscalité est une question de dosage, elle se prête mal à la question référendaire. Seul le vote par une majorité parlementaire de la répartition de la charge fiscale entre tous les citoyens peut lui conférer l’équité comme vertu.
Plusieurs difficultés
À cette aune, est-ce-à dire que le système fiscal français est juste ? Force est de constater que non. Le Parlement n’est représentatif ni des forces politiques de ce pays ni en termes de catégories socioprofessionnelles. 80 % des députés sont des cadres, alors que ceux-ci ne comptent que pour 20 % de l’emploi. Ce phénomène s’est aggravé à la faveur du dernier renouvellement de l’Assemblée nationale. La question de la justice fiscale renvoie donc à celle de la réforme de nos institutions politiques et, en premier lieu, au mode de désignation des députés.
Ensuite, est-il adroit, d’entrée de jeu, de faire savoir que l’ISF ne sera pas rétabli et qu’il n’est pas question d’alourdir les droits de succession ? Le commun des mortels pourra en conclure à bon droit que les jeux sont faits, que le débat n’est pas sincère et n’est en réalité qu’une comédie destinée à relégitimer un pouvoir politique vacillant.
Une dernière difficulté provient de la complexité du sujet, qui n’a fait que croître au fil des années. Au vote de la loi de finances s’est ajouté celui de la loi de financement de la Sécurité sociale, où l’impôt finance de plus en plus cette dernière, cependant que les cotisations sociales sont devenues progressives. L’intrusion massive de l’Etat dans le financement des collectivités locales avec des exemptions et dégrèvements de toutes sortes rend le système peu lisible et pas seulement pour le profane.
Progressivité du système fiscal
Il ne faut surtout pas perdre de vue que le mouvement des « gilets jaunes » est parti du sentiment d’injustice provoqué par l’alourdissement d’impôts indirects connus pour être régressifs. Le relèvement de la taxe carbone, pour l’instant différé, mais nécessaire au vu des enjeux posés par le défi climatique, doit être compensé par une plus grande progressivité de notre système fiscal.
Quelques idées simples en ce domaine : d’abord un reprofilage de la TVA avec des taux réduits réservés aux biens de première nécessité et l’instauration de taux de TVA à 25% sur des biens de luxe. Ensuite, la transformation de toutes les niches de l’impôt sur le revenu en aides directes. Les idées les plus simples ne sont pas forcément les pires en ce domaine, car compréhensibles par tous.