Selon la dernière tribune du regretté Claude Le Pen, économiste de la santé, la France de 2007 aurait été prête pour faire face à une telle pandémie et n’aurait pas été en demeure de choisir entre la mort et son économie.
En raison de décisions malheureuses, la France a baissé sa garde depuis dans sa politique de précaution en termes de masques, de tests et de matériel médical, et elle en est réduite, dès lors, à essayer de limiter les dégâts sanitaires en maximisant les dégâts économiques. Choix cornélien s’il en est, car une France moins riche et plus endettée, sera moins à même de consacrer plus de moyens à son système de santé sur la durée : accorder la reconnaissance financière au personnel hospitalier qui le mérite tant, plus de moyens pour les hôpitaux, la veille sanitaire et la recherche médicale. Une augmentation du taux de pauvreté et du taux de chômage peut être aussi associée à une plus grande mortalité chez les plus démunis.
Dans ces conditions, accabler les dirigeants actuels serait se tromper de cible, ils n’avaient le choix qu’entre de mauvaises décisions. D’autant que deux membres éminents du conseil scientifique du Covid-19, Yazdan Yazdanpanah et Didier Raoult, ont écarté fin janvier la dangerosité pour notre pays de cette épidémie partie de Chine. Peut-être eux-mêmes trompés par les annonces officielles du nombre de décès relativement faible par rapport à la taille du pays. Chercher les vrais responsables du côté des ministres et des hauts responsables du ministère de la santé actuels et passés assouvira le désir de l’opinion publique de trouver des coupables. Il est dans l’ordre des choses que se succèdent des ministres ou des hauts fonctionnaires de qualité inégale. Seules des structures administratives et politiques qui donnent les bonnes incitations peuvent pallier les faiblesses des décideurs.
Or que constate-on en général s’agissant des hommes politiques dans une démocratie comme la nôtre ? Qu’ils restent prisonniers du court terme, car leur chance de réélection se joue à cet horizon. D’où la tentation encore plus forte en cas de restrictions budgétaires de faire des économies sur des dépenses de précaution, qui n’auront qu’un impact probable au-delà de l’horizon électoral. L’Italie avait fait des économies sur les dépenses d’entretien de ses ponts, l’effondrement du pont de Gènes est venu rappeler ce qu’il en coûte. La France a fait des économies sur le renouvellement des commandes de masques, dépense dérisoire au regard du coût économique abyssal du confinement, sans parler du coût en termes de décès.
La création d’agences indépendantes du pouvoir politique du moment, sur le modèle des banques centrales, est la seule réponse pour que la décision publique ne sacrifie pas le long terme à la dictature du court terme dans un certain nombre de domaines essentiels, comme la santé et la prévention des risques, l’environnement et la recherche. Les ressources doivent faire l’objet d’un engagement pluriannuel non renégociable, son dirigeant nommé sur proposition du président de la république et approbation des assemblées, avec un conseil où puissent siéger des parlementaires, des experts, des représentants de la société civile qui vérifient que les missions de service public sont correctement prises en charge par l’agence. Cette crise vient encore de démontrer que le manque de prise en compte du long terme est le talon d’Achille de nos démocraties, et singulièrement de la démocratie française.