Depuis les années 1960, la famille française a profondément évolué. Mariages en déclin, familles recomposées, baisse de la fécondité, diversification des modèles familiaux : ces transformations reflètent une quête de liberté et d’épanouissement, mais interrogent aussi sur l’avenir de la parentalité dans un contexte d’incertitudes économiques, climatiques et sociétales. Catherine Scornet décrypte ces mutations, entre aspirations personnelles et normes sociales, pour éclairer les enjeux d’un choix aussi intime que structurant.
Cet article est extrait du cinquième numéro de la revue Mermoz, « Démographie, la transition silencieuse ».
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François de Singly, 2023, Sociologie des familles contemporaines, Armand Colin, 7e édition.
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Michèle Perrot, 2023, Le Temps des féminismes, Grasset.
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Arnaud Régnier-Loilier, 2016 : « La planification des naissances : mesures et facteurs associés » in Arnaud Régnier-Loilier (ed.), Parcours de familles, Ined Editions, p. 217-237.
Les transformations de la famille en France depuis les années 1960 (baisse du nombre des mariages et augmentation des unions libres, augmentation des divorces et des séparations, augmentation des familles monoparentales et des familles recomposées, diminution du nombre des naissances, augmentation du nombre des naissances hors mariage) vont toutes dans le sens d’une maîtrise croissante du destin individuel et familial liée à la dévalorisation de l’héritage matériel et symbolique et au contrôle des naissances1. Les légalisations de la contraception par la Loi Lucien Neuwirth de1967 et de l’Interruption Volontaire de Grossesse par la Loi Simone Veil de 1975 ont profondément modifié les aspirations en matière de reproduction. Pour la grande majorité des femmes s’ouvre alors un accès à la liberté où il n’est plus question de se soumettre à « l’état de nature »2. Ainsi les mouvements féministes des années 1970 clament haut et fort : « Un enfant si je veux, quand je veux, comme je veux ». L’idée de projet parental y trouve toute sa pertinence. Progressivement, la normalité pour la femme et le couple devient la non-conception et la venue d’un enfant peut se décider, se prévoir et se planifier, elle relève d’un véritable choix. Plus de huit naissances sur dix sont aujourd’hui « planifiées » en France3.
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Pour comprendre cet indicateur, un rappel de son calcul peut être utile. Il s’agit en effet de faire la somme des taux de fécondité par âge et donc de rapporter les naissances qui ont eu lieu en 2023 à l’ensemble des femmes de 15 à 49 ans de cette même année. Or ces femmes se trouvent à différentes étapes de leur vie reproductive. Les plus jeunes ne l’ont, dans leur grande majorité, pas encore commencée, et les plus âgées l’ont terminée.
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Sylvain Papon, 2024, « En 2023, la fécondité chute, l’espérance de vie se redresse », Insee Première, n°1978.
La baisse de la fécondité observée en France depuis plus de dix ans est une tendance de fond, même s’il est difficile de savoir si le niveau de la fécondité du moment – l’indice synthétique de fécondité4 de 1,7 enfant en moyenne par femme en 20235 – est le fruit d’un report temporaire des projets féconds, d’un renoncement définitif à avoir un ou d’autres enfants, ou d’un désir plus fréquent de ne pas vouloir d’enfant ou d’autre enfant.
Les motivations conduisant à avoir moins ou pas d’enfant sont complexes et variées. Qu’elles soient conjoncturelles ou plus profondes, elles relèvent des façons de se projeter dans l’avenir et dans la parentalité. Ces choix intimes soulèvent diverses questions : pourquoi fait-on des enfants ? Comment fait-on couple et famille ?
Un climat général d’incertitudes peut être un frein à la fondation d’une famille et peser sur les projets d’enfantement : la conjoncture économique (hausse du coût de la vie…) et politique (guerres en Ukraine, au Proche-Orient..) incertaine, les craintes face au réchauffement climatique, l’éco-anxiété, la fragilité des conditions matérielles d’entrée dans la vie adulte (précarisation du travail, difficultés d’accès et coût d’un logement), tous ces facteurs de contraintes et de contexte conjoncturel affectent indéniablement le désir d’enfant. De plus, le surcroît de tâches domestiques et familiales à l’arrivée d’un enfant pèse encore surtout sur les femmes, qui peuvent être amenées à voir leur carrière freinée en réduisant leur temps de travail et en perdant une partie de salaire.
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François de Singly, 2000, Libres ensemble. L’individualisme dans la vie commune, Nathan.
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Ibid
Cependant, des évolutions de valeurs, de normes et de mentalités affectent profondément les comportements reproducteurs. Une autre vision d’être soi, liée à l’autonomisation et à la liberté de l’individu dans ses choix et ses décisions et au sein de la famille, entraîne des changements de désirs en matière de reproduction. Dans un contexte de post-modernisme, toutes sortes de préférences et de modèles deviennent légitimes. Chacun a le choix de vivre en couple, marié ou non marié, de vivre seul, d’être en couple non-cohabitant… Comme chacun a le choix d’avoir des enfants, de ne pas en avoir, d’en avoir peu… On assiste à une diversification de « l’être parent » et du « faire famille ». Désormais l’individu revendique d’avoir sa propre vie au-delà du couple et de la famille. Il est possible d’affirmer un choix de vie positif et épanouissant avec peu d’enfants, voire pas d’enfant. Au sein de la famille, chacun veut devenir soi-même, entretenir un espace à soi et un temps pour soi. La dimension altruiste à s’occuper de sa descendance, à élever ses enfants, n’a bien sûr pas disparu, mais la relation adulte de couple a gagné en importance. La motivation à la parentalité est la réalisation de soi en tant qu’adulte. Le couple, l’adulte deviennent les sujets de l’épanouissement individuel, et non plus l’enfant essentiellement, à condition de rester « libres ensemble »6. L’individu n’est désormais plus rattaché à un ordre de statuts : le soi statutaire (lié aux rôles sociaux) s’éclipse au profit du soi intime (lié à la personne)7.
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Insee, statistiques de l’état civil, https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381394
Les façons d’envisager la parentalité sont devenues plus diverses. La natalité hors mariage est en nette augmentation. Les enfants nés hors mariage ne sont plus considérés comme « illégitimes ». Alors qu’ils étaient minoritaires en 1975 (12 % des naissances), ils représentent 65 % des naissances en 20228. La Procréation Médicalement Assistée s’est ouverte depuis la Loi de Bioéthique du 4 août 2021 aux femmes seules et aux couples formés de deux femmes.
Ainsi, un élargissement possible des formes de la vie privée, une remise en cause de la vie en couple et d’avoir un ou des enfants caractérisent désormais la famille contemporaine. Ainsi, un élargissement possible des formes de la vie privée, une remise en cause de la vie en couple et d’avoir un ou des enfants caractérisent désormais la famille contemporaine.
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Charlotte Debest, Magali Mazuy, 2014, « Rester sans enfant : un choix de vie à contre-courant », Population et Sociétés, n°508.
Toutefois, en France, la norme parentale reste forte. « Rester sans enfant » est « un choix de vie à contre-courant »9. L’enquête nationale Fécond (Fécondité, contraception et dysfonctions sexuelles) menée en 2010 par l’INED et l’INSERM révèle que seuls 5 % des hommes et des femmes ne veulent pas d’enfant. Des résultats qui mériteraient d’être actualisés par une nouvelle enquête nationale alors que la fécondité n’a cessé de baisser depuis 2010.