L’emploi « va mieux » en France, mais lentement et différemment. Les jeunes et moins jeunes veulent donc comprendre ce qui se passe et trouver des solutions. Ils savent, au fond, que les emplois ne deviennent pas précaires à cause des patrons, mais parce que chacun d’entre nous cherche, aujourd’hui, du plus varié, de l’immédiat, du moins cher. Si on veut une banque par téléphone, que devient l’agence ? Si on se fait livrer chez soi ce qui est produit en Asie après avoir comparé et choisi sur Internet, que deviennent les usines et les boutiques ? Pas de surprise donc si les classes sociales s’émiettent et le dialogue social avec. Comment le reconstruire ?
Les Grecs nous avaient prévenus : dialoguer, c’est « parler entre ». C’est parler « entre personnes » et « entre sujets ». Dialoguer sur « le social », c’est débattre des conséquences dans l’entreprise de ce qui se passe en économie, technologie, finance, politique… C’est chercher une synthèse pour que l’entreprise et ses parties prenantes avancent, ensemble et au mieux. Bien sûr, cette synthèse n’est jamais évidente. Elle dépend de la volonté de dialogue des participants, des problèmes à résoudre et, de plus en plus, de la variété même des interlocuteurs. Ce sont les trois « entre » du dialogue : entre salariés et patrons, entre problèmes, entre types d’entreprises.
La France avance dans le social par le 49-3, avec la loi El Khomri, tandis que l’Allemagne augmente ses salaires de 4,8 % sur deux ans, après quelques escarmouches sociales. Le dialogue social allemand vient de valeurs partagées et d’une armature industrielle forte. Cela permet des investissements à long terme, grâce à une vraie pratique d’échanges et de recherche de solutions, entre un syndicat patronal (BDI) et un syndicat salarié (IG Metall). Notre dialogue social reflète une société idéologiquement opposée, une industrie fragile, des filières discontinues, des services importants et variés.
Discuter en France, c’est donc une autre affaire. D’abord, les syndicats de salariés viennent en large part du secteur public (SNCF, EDF, La Poste, RATP…) et de grandes entreprises. Ils signent pour des entreprises bien plus petites où, souvent, ils ne sont pas présents. Ensuite, la France est un pays où l’industrie représente aujourd’hui 11 % de valeur ajoutée, contre 20 % en Allemagne. La France a une colonne vertébrale industrielle deux fois plus faible que l’allemande, avec plus de services. La diversité y est plus forte. Il n’est jamais facile de dialoguer quand l’idéologie s’en mêle, moins encore quand les interlocuteurs représentent un si large spectre de situations. C’est là notre problème. Et si c’était notre chance, dans le monde actuel ?
C’est parce que l’économie française est moins industrielle et plus servicielle, avec beaucoup de PME et de TPE, que le dialogue social doit se tenir au niveau de l’entreprise. C’est pourquoi l’« inversion des normes » est si importante dans la loi El Khomri. Dans la « hiérarchie des normes » actuelle, la loi régit le Code du travail. Elle détermine ainsi, avec les accords de branche, les « avantages acquis » : on peut faire plus dans l’entreprise, mais pas moins et, surtout, pas différent. « L’inversion des normes » veut traduire, dans la loi, ce qui se passe actuellement dans l’économie. Les carnets de commandes y sont plus instables, la pression sur les prix plus forte. Seule l’innovation permet de trouver des solutions adaptées à ces nouveaux besoins, mais il faut plus de souplesse.
Dialoguer, c’est admettre que notre monde change et en accepter l’incertitude. C’est discuter des problèmes au niveau de l’entreprise, face aux technologies et aux désintermédiations qui chamboulent tout, pour s’adapter et rebondir. Alors, la diversité de nos entreprises et de nos services n’est plus un handicap, mais une richesse. « Inverser les normes », c’est reconstruire le dialogue social à partir de la variété de nos situations, au plus près des gens, dans une confiance mieux partagée.