Les mesures prises en faveur de l’hôpital vont desserrer en partie l’étau sur les établissements. Mais aucune amélioration réelle ne sera possible sans une profonde réorganisation de l’ensemble de notre système de soins, qui implique également une transformation de l’exercice libéral des professions de santé, écrit Alain Trannoy. L’idée : faire tourner tout le personnel infirmier et aide-soignant – y compris libéral – d’une zone donnée dans les hôpitaux publics locaux.
Les annonces faites par la ministre Agnès Buzyn apportent indiscutablement un ballon d’oxygène à l’hôpital public. La reprise d’un tiers de la dette des hôpitaux permet de desserrer l’étau financier dans lequel sont pris nombre d’établissements qui vont pouvoir dès lors réinvestir, et ainsi se réinventer. La prime de 800 euros accordée aux aides-soignants et infirmiers témoigne de la reconnaissance de la nation envers ces personnels qui portent à bout de bras les services hospitaliers. Mais la solution aux maux de l’hôpital ne se trouve pas uniquement à l’intérieur de ses murs. Elle appelle une profonde réorganisation de l’ensemble de notre système de soins, qui implique également une transformation de l’exercice libéral des professions de santé.
L’hôpital, et en particulier les CHU, se trouvent en première ligne de notre système de santé. C’est là où le travail est le plus stressant, les horaires les plus astreignants et l’attente des familles la plus lourde à porter. C’est un lieu de combat contre la mort. Et les personnels qui y combattent sont en première ligne. Tous les symptômes indiquent que notre première ligne est en train de craquer. Un bon indicateur est le pourcentage du personnel aide-soignant et infirmier qui se fait porter pâle. Une étude de la DREES portant sur des données de 2012-2013, les conditions se sont encore dégradées depuis, indique que les aides-soignants ont recours à 5 jours d’arrêts-maladie de plus que l’ensemble du personnel de la fonction publique. Loin de nous de penser que le nombre de « tire-au-flanc » est plus important dans cette profession que dans les autres. Bien au contraire, l’étude pointe les conditions de travail difficiles comme des facteurs menant à un épuisement nerveux et physique qui nécessite, dès lors, un repos compensateur. Bien évidemment, cet absentéisme crée un cercle vicieux, car il faut, au pied levé, trouver des remplaçants et solliciter encore de façon plus intense les plus solides, qui vont ainsi se trouver fragilisés.
Que fait-on quand une première ligne est en train de craquer ? Souvenons-nous de l’exemple de la bataille de Verdun, où l’armée française a failli être engloutie la première semaine de l’attaque allemande. La solution a été de faire passer toutes les unités de l’armée française à Verdun à tour de rôle pendant une très courte période et d’organiser une relève rapide, afin d’éviter l’épuisement. Toute proportion gardée évidemment, c’est l’idée dont il faut s’inspirer : faire tourner tout le personnel infirmier et aide-soignant, y compris celui qui exerce à titre libéral dans une zone donnée, dans les hôpitaux publics de la zone concernée. Bien sûr, le personnel ainsi mobilisé sera indemnisé, et symétriquement, le personnel qui travaille dans les hôpitaux sera encouragé à exercer une activité libérale à temps partiel. Tous partageraient la servitude publique et les gratifications du privé.
Cette réforme d’envergure retrouverait l’esprit des ordonnances Debré de 1958 : les praticiens hospitaliers avaient été encouragés à travailler deux jours par semaine en dehors de l’hôpital pour rendre les carrières plus attractives. Cette réforme permettrait également de préparer l’avenir où l’augmentation des actes d’hospitalisation à domicile réduira les temps d’hospitalisation. Pour éviter une rupture de la chaîne de traitement, il est urgent d’opérer une certaine osmose entre le personnel qui s’occupe du patient à l’hôpital et à domicile.